Idées et Sociétés, International

Les rencontres en Chine et la « Galaxie multipolaire »

Une analyse in situ du fonctionnement de la multipolarité impérialiste, ce qu’Andrea présente comme une galaxie multipolaire. Une discussion intéressante au moment où des analystes ressortent les théories axiales ou celle de la guerre froide réaménagée. La complexité des intentions et des relations sur des points concrets multiplie en fait les dangers potentiels. ML

3 SEPTEMBRE 2025  ANDREA MARTINI  publié sur le site « Refrattario e Controcorrente « 

par Andrea Ferrario

En analysant de manière exhaustive les développements diplomatiques de ces deux derniers mois, on entrevoit, sans se laisser éblouir par le grand spectacle qui se déroule actuellement à Pékin entre le sommet de l’OCS ( Organisation de coopération de Shanghai) et les célébrations du 80e anniversaire de la fin de la guerre mondiale en Asie, l’émergence d’une « galaxie multipolaire »dont les États-Unis et leurs alliés pourraient également faire partie d’une manière ou d’une autre.

Commençons par le cas exemplaire du Myanmar (ex Birmanie). À Tianjin, lors du sommet de l’OCS organisé par Xi Jinping, une rencontre a eu lieu entre Narendra Modi et le chef de la junte putschiste birmane, Min Aung Hlaing. La signification de cette rencontre, qui implique une légitimation des militaires putschistes du Myanmar par l’Inde, est encore renforcée par le fait que les médias d’État indiens ont publié aujourd’hui la nouvelle que Modi soutient la décision de Min d’organiser des élections le 28 décembre prochain. Ces élections, qui sont clairement une mascarade alors que le Myanmar est en proie à une guerre civile, ont été fortement souhaitées par la Chine, qui soutient de plus en plus la junte putschiste. L’ensemble de la résistance s’y oppose en revanche. Ce revirement de l’Inde est inattendu et renforce considérablement l’isolement de la résistance populaire au Myanmar.

Ce que l’on observe actuellement autour de ce pays ravagé par la guerre est une convergence inédite des grandes puissances. La Russie a toujours soutenu et armé l’armée birmane, la Chine a toujours entretenu de bonnes relations avec elle, mais sa position est désormais clairement de se ranger à ses côtés. Avant le revirement indien, les États-Unis avaient levé en juillet les sanctions contre les représentants du pouvoir putschiste et les entreprises clés du régime birman. Washington avait également reçu un lobbyiste de leur part et, par une habile manœuvre diplomatique, avait également envoyé le message implicite qu’il était prêt à reconnaître la junte. La Chine et les États-Unis semblent tous deux viser une pacification du Myanmar qui le livrerait au contrôle des putschistes, en recourant également au chantage à l’encontre de certaines armées ethniques faisant partie de la résistance pour les contraindre à un compromis avec le gouvernement actuel. Cette convergence ne semble pas fortuite : tous ces gouvernements réactionnaires ont tout intérêt à étouffer la lutte populaire des habitants du Myanmar, l’un des rares exemples de lutte massive, fière et tenace pour la démocratie que l’on ait vu ces derniers temps.

Bien sûr, cette « galaxie multipolaire » élargie aux États-Unis n’est pas un ensemble de véritables alliés. La convergence des intérêts ne signifie pas l’amitié, et les coups bas, même importants, sont constants et nombreux entre ceux qui, en fin de compte, sont concurrents, même s’ils participent à la même course. Dans le cas du Myanmar, par exemple, il y a en arrière-plan un chantage réciproque entre les États-Unis et la Chine sur les terres rares. Un cas similaire est celui du Baloutchistan, province du Pakistan dont le mouvement armé indépendantiste a été inscrit par les États-Unis sur la liste des organisations terroristes étrangères. Comme cela a déjà été observé récemment, il s’agit d’une mesure qui va certainement dans le sens du Pakistan dans sa tentative d’affaiblir l’influence que Pékin exerce sur lui, mais qui ouvre également, sous un autre angle, à la Chine, l’un des principaux objectifs de la résistance populaire des Baloutches.

On peut citer d’autres exemples de cette convergence accompagnée de coups bas réciproques. Par exemple, le vent de rapprochement entre les États-Unis et la Chine qui souffle fort depuis quelques mois : si l’on regarde avec un grand angle comment les négociations se sont déroulées jusqu’à présent, sans se concentrer uniquement sur les développements les plus récents, le tableau qui se dessine est celui de négociations serrées, et non de guerre. Un autre épisode récent de convergence est apparu avec la révélation que les États-Unis ont proposé en coulisses un rôle important à la Chine en tant qu’acteur de premier plan dans une éventuelle opération de maintien de la paix sur le terrain du Donbass et dans d’autres zones ukrainiennes occupées par la Russie. Et, inutile de le dire, il y a aussi toute l’histoire des relations entre les États-Unis et la Russie et du sommet en Alaska.

On pourrait bientôt ajouter la Corée du Nord, qui participe pour la première fois à une réunion multilatérale à Pékin pour la célébration de l’anniversaire de la Seconde Guerre mondiale, et qui est ainsi admise pour la première fois dans un large forum international. À cet égard, il convient de noter que Trump a exprimé à plusieurs reprises son intention de rencontrer à nouveau Kim Jong Un, tout en coupant les vivres à des alliés essentiels pour le contrer, tels que le Japon et la Corée du Sud, par le biais de droits de douane.

Comme si cela ne suffisait pas, les hauts responsables militaires de Washington envisagent concrètement de réduire la présence américaine dans la péninsule coréenne. Dans ce contexte mondial, l’UE est profondément embarrassée et s’efforce de naviguer entre Washington et Pékin sans s’aliéner personne. D’autre part, il est fort probable que les dirigeants des principaux pays européens, déjà soumis à une forte pression interne, soient bientôt remplacés par des « multipolaristes » : pour la première fois, ces dernières semaines, l’extrême droite est en tête des sondages simultanément en Allemagne, en France et au Royaume-Uni.

Après la fin de la guerre froide, le système capitaliste mondial s’est principalement appuyé sur l’axe économique États-Unis-Chine. Il n’y a pas d’intention de le détruire, ce qui serait d’ailleurs impossible sans un bouleversement complet qui nuirait à tous les capitalistes, mais seulement de redéfinir ses règles et ses conditions. Pour ce faire, dans les conditions actuelles, outre le fait d’impliquer beaucoup plus d’acteurs étatiques qu’auparavant, il est parfois nécessaire de se présenter à la table des négociations en brandissant le couteau, et bien sûr, celui qui a le plus grand et le plus tranchant obtient le plus, mais cela ne signifie pas pour autant que nous sommes à l’aube d’une « nouvelle guerre froide » ou de la création de fronts compacts et clairement opposés.

La direction est différente et le terme « galaxie multipolaire », qui comprend non seulement la Chine, la Russie, l’Inde et Cie, mais aussi les États-Unis, l’Union européenne et Cie, me semble à ce stade le plus proche de la réalité, lorsqu’il convient d’utiliser une définition synthétique.

Traduction Deepl revue ML