L’anti-impérialisme ne peut se diviser sans trahir tous les peuples
Comment stopper les crimes de guerres, les politiques d’apartheid, les crimes contre l’humanité, les génocides, les féminicides, les viols ?
Comment arrêter des gouvernements élus ou non, des bandes armées, des auto-proclamés serviteurs de dieu ?
Comment réduire les soutiens ou les silences institutionnalisés qui permettent à certains de tuer, massacrer, piller, exproprier… ?
Aucune condition préalable ne doit être mise aux actions collectives pour neutraliser les responsables de ces crimes. Cependant, la compréhension des mécanismes et des rapports sociaux qui ont favorisé ou permis les ignominies, est plus que jamais nécessaire pour envisager d’agir dans l’intérêt du plus grand nombre.
Nous ne devons jamais négliger les résistances internes (que certain·es cependant continuent publiquement de nier) aux différents exactions des gouvernements, comme, par exemple, au sein de la Fédération de Russie. Ce que nous rappellent à propos de l’avenir de la Fédération de Russie Kirill Medvedev (« Protestations en temps de guerre à l’intérieur des frontières de la Fédération de Russie ») et Liliya Vejevatova (« La résistance féministe en Russie »). On a pu voir également avec la « révolution des cartons », comment les Ukrainien·nes ont su rappeler à leur gouvernement que la conduite de leur guerre contre l’invasion russe était inséparable de l’approfondissement de la démocratie.
Différentes formes d’autoritarisme, comme l’analyse Enzo Traverso dans « Autoritarisme et démocratie au 20e siècle », se dessinent, s’entrecroisent, se complètent ou s’affrontent.
L’agression, avec la dimension génocidaire des enlèvements d’enfants et son cortège de crimes de guerre, de la Fédération de Russie de l’Ukraine se poursuit. A Gaza, les crimes de l’armée israélienne sont aujourd’hui nommés politique d’affamement et génocide (voir, entre autres, l’article de Shatha Yaish : « Notre génocide ») ; la politique d’expropriation des populations palestiniennes en Cisjordanie s’amplifie. Tout cela avec la complicité active de certains États et le double langage d’autres (dénonciations du génocide et livraison de minéraux, collaboration institutionnelle, commerce dont celui des armes).
Sans prise en compte de l’ensemble des situations, la pensée devient hémiplégique (et se transforme souvent en soutien implicite à certains dictateurs), les repères s’effondrent, les mensonges se travestissent en vérités, les mots perdent leur sens. Il est donc temps de se pencher sur les propositions de Vladislav Starodubtsev : « Repenser un programme de gauche ».
La crise du mode de production capitaliste (stagnation de la productivité du travail, problèmes liés à valorisation du capital ou au taux de profit dégagé) et des relations sociales (dont la polarisation des richesses captées par des minuscules minorités dans la plupart des pays) qui s’y déploient se traduisent par la montée de l’autoritarisme. Aux choix démocratiques, les possédants opposent leur arbitraire (Samuel Farber : (Réflexions sur l’arbitraire »).
Aux États-Unis, Trump et son vice-président s’efforcent de cocher toutes les cases de ce qu’Enzo Traverso nomme le postfascisme :
* Revendications territoriales pour satisfaire l’espace vital de l’État dominant : Canada, Groenland.
* En finir avec les règles de la mondialisation, appliquer des droits de douane aux pays exportateurs en fonction de l’arbitraire étasunien.
* Désignation de l’ennemi intérieur, l’Autre, les immigré·es.
* Constitution d’une police fédérale dédiée à leur « chasse » (ICE : Immigration and customs enforcement).
* Interdiction et arrestations des manifestant·es pour la Palestine. Poursuite des étudiant·es pro-palestinien·nes.
* Destitutions de juges. La parole gouvernementale primant sur les décisions de justice.
* Glorification de l’armée et indirectement fête d’anniversaire du chef (le 14 juin).
* Restrictions des crédits aux universités. Fermeture de départements contestant le savoir officiel. Intervention directe dans l’élaboration des programmes en fonction de ce « savoir ».
* Fermeture du ministère fédéral de l’éducation.
* Construction de la « vérité officielle » y compris contre les faits établis (licenciement de la directrice chargée d’établir les chiffres de l’emploi, du chef du renseignement militaire). La propagande devenant la parole officielle.
* Chasse aux transexuel·les dans l’armée et les services publics.
* Pour verrouiller l’ensemble de ces mesures « antilibérales » que nous ne pouvons pas toutes énumérer ici, l’emploi de la « Garde nationale » fédérale contre l’avis des maires et gouverneurs : à Los Angeles contre les manifestations contre les exactions de l’ICE, à Washington pour quadriller la ville en attendant de faire de même à Chicago et dans les autres villes démocrates. La sécurité, la sécurité au moment des élections voulue par l’instigateur de l’assaut du Capitole (6 janvier 2021) est toujours le prétexte avancé pour justifier ce qui se déploie : un coup d’État rampant.
S’étendre sur ce point est important car nous connaissons les dictatures (Chine, Russie…) les États « illibéraux » (Hongrie, Inde…) mais jamais nous n’avions assisté à la transformation d’une démocratie bourgeoise en un État post-fascisme en direct au vu et au su du monde entier. Certes, résister est encore possible, dans la rue comme au moment du No Kings Day, dans les syndicats et les associations, mais sans unité des travailleurs et des travailleuses, des partisans·es de l’extension de la démocratie, des communautés, la course contre la montre risque fort d’être perdue.
Le refus des « encadrements » démocratiques et de leur concrétisation sous la forme de droits individuels et collectifs se traduit aussi par le refus des instances internationales comme la CPI et la CIJ. Pourtant par leurs simples existences elles limitent les arbitraires et participent du commun collectif.
Le droit international n’est pas une coquetterie (voir les articles dans des précédents numéros d’Adresses). La déclaration Cour internationale de justice (CIJ), « Les États ont l’obligation légale de réduire leurs émissions et de protéger le climat », nous rappelle que nous vivons dans un monde borné. Réduire les émissions de gaz de serre des uns (les pays historiques les plus riches, la Chine et les pays producteurs de pétrole) est une urgence pour tous et toutes.
De la Kanaky à Mayotte, du Sahara occidental à la Palestine, la question coloniale, les politiques néocoloniales ne peuvent être contournées par celles et ceux qui gardent comme boussole lePrincipe espérance (Ernst Bloch) et qui luttent pour l’émancipation de toutes et tous. Kevin Anderson dans un entretien avec Grusha Gilayeva : « Les chemins de la révolution et le marxisme aujourd’hui », nous invite à reconsidérer des théories toujours en élaboration.
La majorité des travailleurs à travers le monde sont des travailleuses, la majorité des migrants sont des migrantes. L’apartheid dont elles sont victimes en Afghanistan et en Iran semble laisser plus indifférent que l’apartheid subit par les Palestinien·nes. Si les structures sexistes des sociétés et des pouvoirs sont généralisées dans le monde, leurs constructions sont cependant historiques et évolutives. La violence sexiste ne vient pas de nulle part. Un exemple et une analyse nous sont proposés par Roomaan Leach : « Les fondements structurels de la violence sexiste en Afrique du Sud ».
Dans ce numéro aussi, d’autres Adresses à visiter, des sites et des journaux, pour des informations et des analyses.
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Didier Epzstajn, Michel Lanson, Patrick Silberstein
Télécharger le n°14 : Adresses n°14