Politique et Social

Que valent des actes symboliques sans actes réels face aux souffrances et à la mort programmée des Palestiniens de Gaza et de Cisjordanie ?

Le geste symbolique de la reconnaissance procurera sans doute une satisfaction de façade. Mais pour accomplir les promesses contenues dans tous les engagements du droit international, il faut bien d’autres mesures car Israël ne pliera que sous la contrainte. 

Après des décennies de complicité avec l’État d’Israël, certains pays occidentaux sont aujourd’hui plongés dans un évident embarras devant le crime barbare qui s’accomplit jour après jour à Gaza, mais aussi en Cisjordanie. Ce crime est pensé avec un objectif précis : liquider toute possibilité de réalisation du droit à l’autodétermination pour le peuple palestinien. Et pour cela il fallait, et cela est en voie d’achèvement, occuper sa terre, y implanter des intrus, les encourager aux prédations et à la violence, emprisonner parmi les Palestiniens tous ceux qui avaient la stature de futurs dirigeants, encourager la division politique et frapper la société dans ses possibilités de vie quotidienne, ses biens, sa terre, sa culture. L’affaire menée depuis des années est accélérée depuis le 7 octobre 2023, de manière effroyable à Gaza, de manière moins spectaculaire, mais non moins décisive en Cisjordanie. Elle est difficilement réversible sans une intervention très forte de la communauté internationale, pour l’instant absente de tous les agendas.

Piégés par leur soutien traditionnel au projet sioniste et à la politique d’Israël, nos gouvernements de la vieille Europe (France, Royaume-Uni, Portugal, Finlande, Luxembourg) et de quelques autres comme le Canada, sont empêtrés dans leurs contradictions [1] : comment tenter contre toute évidence de garder le costume d’État vertueux et démocratique et pourtant ne pas lâcher l’allié israélien ? Voilà que du bout des lèvres, après de multiples tergiversations et reports, et alors que le projet d’élimination du peuple palestinien est en voie d’accomplissement, ces gouvernements en viennent enfin à la reconnaissance de l’État de Palestine. Et le bon peuple d’applaudir un acte symbolique qui viendra dans quelques semaines.

Mais ne persistons pas à faire semblant : c’est trop tard et trop peu. Trop tard, car la Palestine aurait dû être reconnue dès que le peuple palestinien à travers ses propres instances s’est proclamé comme État en 1988. Tout le droit international de la décolonisation l’exigeait et une centaine d’États l’ont fait immédiatement mettant ainsi leurs actes en conformité avec les principes universels. Depuis, l’on sait que l’argument avancé pour retarder encore et encore cette légitime reconnaissance était qu’il fallait qu’elle advienne à travers un accord de paix avec Israël. Et chacun de feindre de croire à la possibilité de cette paix alors qu’à toutes les étapes, les négociations apportaient la démonstration que le droit du peuple palestinien à l’autodétermination n’était pas un objectif d’Israël et qu’au mieux on lui offrait avec l’Autorité palestinienne, un semblant d’autonomie sans aucune perspective d’accès à la plénitude des droits d’un État. Quant au retrait de Gaza par Israël en 2005 avec le maintien d’un contrôle complet sur le territoire, il est heureux que la Cour internationale de justice dans son avis du 19 juillet 2024 ait considéré que cela n’avait en rien modifié le fait que Gaza reste un territoire occupé au sens des Conventions de Genève.

Trop tard donc, mais ne dit-on pas qu’il n’est jamais trop tard pour bien faire ? Sans doute. Mais alors il ne faut pas faire trop peu. Or, cette reconnaissance qui ne peut être que symbolique dans la mesure où Israël garde la maîtrise totale de la situation dans un rapport de forces en sa faveur, est à l’évidence trop peu, comme le geste du passant qui, excédé de voir tant de personnes à la rue, jette une pièce à un sans-abri en ignorant qu’il est en danger existentiel. Trop peu car Israël est emporté par des extrémistes messianiques dans un élan mortel qu’aucune mesure symbolique n’arrêtera. Le projet est limpide. La Knesset l’a voté. Il s’agit d’une part d’annexer la Cisjordanie, d’autre part, d’achever la destruction de Gaza pour ensuite recoloniser ce territoire, c’est-à-dire faire disparaître à jamais la Palestine.

Le geste symbolique de la reconnaissance procurera sans doute une satisfaction de façade. Mais pour accomplir les promesses contenues dans tous les engagements du droit international, il faut bien d’autres mesures car Israël ne pliera que sous la contrainte. Sans doute la possibilité de sanctions par le Conseil de sécurité est-elle évacuée par le soutien, pour le moment encore indéfectible, des États-Unis à Israël. Et la possibilité de sanctions européennes par application de l’article 2 de l’Accord d’Association entre l’Union Européenne et Israël est-elle lointaine tant certains États de l’Union, notamment l’Allemagne, sont encore aveuglés dans leur soutien à Israël. Mais chaque État dispose de moyens qui ne sont pas négligeables et qui coordonnés entre plusieurs seraient de nature à contraindre Israël à abandonner son rêve mortifère de « grand Israël ».

Pour les États européens, il s’agirait de rompre toutes les relations commerciales et technologiques avec Israël dont les conséquences alimentent la guerre et pourquoi pas, d’aller jusqu’à la rupture des relations diplomatiques, car un État peut-il sans perdre son honneur rester en relation avec un autre État lorsque celui-ci mène une politique génocidaire ? Le tragique de la situation ne nous permet plus aucun faux-semblant.

Reconnaître l’État de Palestine dans un mois à l’Assemblée générale des Nations Unies ? À cette date, ce geste sera vain si toutes les sanctions permettant de faire plier Israël n’ont pas été mises en œuvre d’ici là et l’Occident s’enfoncera dans le discrédit qui le frappe déjà en raison de tant d’accommodements complaisants avec ses valeurs.

[1] Notons que certains États européens ont su prendre des positions courageuses et cohérentes, ce qui est le cas de l’Espagne, de la Suède, de l’Irlande.

Monique Chemillier-Gendreau 
Professeur émérite à l’Université Paris-Cité
https://blogs.mediapart.fr/monique-chemillier-gendreau/blog/110825/que-valent-des-actes-symboliques-sans-actes-reels-face-aux-souffrances-et-la-mort-p