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Retour en enfer : les Afghanes expulsées d’Iran

Expulsées d’Iran par centaines de milliers, des Afghanes se retrouvent jetées dans un pays qui n’est plus le leur. Sans droits, sans avenir, elles affrontent la faim, l’exil intérieur, le régime taliban. Depuis Paris, j’ai eu au téléphone des Afghanes qui rentrent non pas chez elles, mais en enfer.

Elles ont été expulsées, le cœur lourd, un avenir fracassé en bandoulière. Le sac de Somayah ne contenait presque rien : un ordinateur portable, quelques papiers froissés, et les ruines d’un rêve universitaire interrompu à un souffle de l’aboutissement. Elle était sur le point de décrocher son diplôme d’ingénierie. Pour elle et son amie Elahah, ce rêve concret s’est effondré dans un silence brutal. L’Iran, qui avait été leur refuge, leur promesse d’avenir, s’est refermé sur elles comme un piège.

Depuis juin 2025,  près de 700 000 Afghans ont été expulsés d’Iran selon l’ONU. Une vague brutale, liée aux tensions régionales, notamment après la menace d’un conflit avec Israël, et aux accusations d’« espionnage » proférées sans preuve contre des milliers réfugiés afghans. Les convois se succèdent aux frontières, composés d’hommes, de femmes, d’enfants, exténués, entassés dans des camions, vidés de tout sauf de l’instinct de survie.

Elles rentrent « chez elles », mais ce pays n’est plus le leur. L’Afghanistan d’aujourd’hui ne les reconnaît pas. Sous le régime taliban, les femmes ont disparu de l’espace public : plus de travail, plus d’école, plus de liberté de mouvement. Somayah est revenue à Herat sans droit, sans statut, sans avenir. « Sans mahram (chaperon), je suis prisonnière chez moi », m’a-t-elle confié au téléphone, d’une voix sèche, sans colère. Juste l’usure.

La fracture est totale : entre l’exil et le retour, entre l’Iran et l’Afghanistan et entre l’avant et le maintenant. Il n’y a plus d’espace pour elles. Ni physique, ni social. Elahah, la voix serrée par la colère, elle dénonce un double abandon. « L’Iran nous a rejetées, comme les pays européens. Les talibans veulent nous effacer. Entre les deux, nous errons sur une terre de silence et d’abandon. »

Cette année, plus de 2,1 millions d’Afghans ont été contraints de rentrer en Afghanistan, dont 352 000 en provenance du Pakistan, selon le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR)

Aux frontières, la scène est toujours la même : déshydratation, famine, chaleur écrasante. Des enfants tombent d’épuisement. Certains meurent, d’autres sont séparés de leurs familles dans le chaos. Ce désert à l’est du pays ne pardonne rien.

Et pourtant, elles sont toujours là. « Nous, les jeunes. Plus de 50% des expulsés ont moins de 18 ans. Mais ce retour ne ressemble pas à une renaissance. C’est un naufrage. Les agences humanitaires sont débordées, dépassées. » souffle Somayah. « On survit au jour le jour, sans savoir si demain sera pire qu’hier. »

Selon l’Organisation internationale pour les migrations (OIM), moins de 10 % des personnes expulsées reçoivent une aide suffisante.

Quatre ans ont passé depuis le retour des talibans. Quatre ans de répression méthodique, de libertés arrachées morceau par morceau. Les talibans ont réduit les voix critiques au silence, étranglé l’éducation et l’emploi. En Afghanistan, le temps ne guérit pas : il enferme. Et pour celles qui reviennent aujourd’hui, ces quatre années ne sont pas un souvenir : elles leur tombent dessus comme si elles n’avaient jamais quitté l’Afghanistan.

Mortaza Behboudi

https://blogs.mediapart.fr/mortaza-behboudi/blog/090825/retour-l-enfer-les-afghans-expulses-d-iran