Une tempête économique parfaite se profile à l’horizon et va frapper durement les Américains. Cela aura-t-il une incidence sur les élections de mi-mandat ?
Par John Feffer | 6 août 2025
Lorsqu’un tremblement de terre frappe quelque part dans l’océan, les pays voisins, proches ou lointains, se préparent à affronter les grosses vagues qui ne manqueront pas de suivre. Les annonces tarifaires de Donald Trump constituent précisément un tel bouleversement dans la politique américaine. Comme pour un tsunami, cependant, l’impact varie d’un endroit à l’autre et se fait sentir avec un certain décalage. Les industries et les pays les mieux préparés érigent leurs propres murs de protection. Les autres sortent leurs gilets de sauvetage et espèrent que tout ira pour le mieux.
Avant la date limite du 1er août fixée par Trump pour l’imposition d’un droit de douane minimum de 10 % à l’échelle mondiale, de nombreux pays se sont empressés de conclure des accords avec les États-Unis. Le Royaume-Uni a négocié âprement avec l’administration Trump et a réussi à ramener ces droits de douane de 10 % à… 10 %, avec en prime des exemptions pour certaines exportations telles que l’acier et le bœuf, dont certaines n’ont finalement pas été incluses dans l’accord annoncé par Washington le mois suivant.
L’accord conclu par le Royaume-Uni a été négocié à la hâte et ressemble davantage à un « concept de plan », comme Trump a un jour décrit son projet imaginaire pour remplacer Obamacare. « Les accords commerciaux prennent généralement des années à conclure : les négociations durent en moyenne 917 jours », écrit Antonia Hitchens dans The New Yorker. « L’accord avec le Royaume-Uni, comme d’autres qui sont encore en cours de négociation, constitue davantage une base pour la poursuite des négociations qu’un engagement réel. Les termes sont vagues, inapplicables, réversibles et non contraignants ».
Il n’est pas difficile d’imaginer que des négociateurs commerciaux chevronnés s’affrontent avec l’équipe de Trump, qui comprend le secrétaire au Commerce Howard Lutnick, inexpérimenté et franchement incohérent, pour conclure des accords qui contiennent des failles suffisamment grandes pour y faire passer un camion (jusqu’aux États-Unis). Les premiers éléments indiquent que les droits de douane de Trump se retournent contre lui à bien des égards, y compris dans le domaine statistique qui obsède le président. Le déficit commercial des États-Unis avec le reste du monde ne fait qu’augmenter.
En parlant de négociateurs chevronnés et inexpérimentés, j’ai utilisé une métaphore culinaire il y a six ans pour décrire l’utilisation des droits de douane par Trump lors de son premier mandat. « Trump utilise les droits de douane comme un mauvais cuisinier utilise le sel », avais-je écrit. « Cela masque son manque de préparation, la mauvaise qualité de ses ingrédients et la fadeur de son imagination. C’est la seule épice dans son placard à épices. »
Pour prolonger la métaphore, le président est actuellement en train de bombarder le monde de droits de douane. Cette main lourde sur la salière fait monter la tension artérielle de l’économie mondiale. Pire encore, les États-Unis eux-mêmes sont au bord d’une crise cardiaque économique.
Quelle que soit la métaphore que vous préférez – tsunami ou crise cardiaque provoquée par le sel –, la question que tout le monde se pose est la suivante : quand la crise va-t-elle vraiment frapper ?
Est-il sérieux ?
Beaucoup de gens ont minimisé les droits de douane de Trump, les qualifiant de simples paroles en l’air. Il a proféré des menaces scandaleuses pour ensuite faire marche arrière, négocier des accords qui lui permettent de sauver la face ou inclure tellement d’exemptions que l’accord n’a pratiquement plus aucun sens. C’est la position adoptée par Wall Street, où le marché boursier s’est remis de sa panique initiale pour atteindre des niveaux records.
Prenons l’exemple de l’approche de l’administration américaine envers la Chine, troisième ou quatrième partenaire commercial des États-Unis selon les critères utilisés. Début avril, Trump a décidé d’imposer des droits de douane d’environ 145 % sur les produits chinois. Le Dow Jones s’est effondré et les entreprises américaines ont paniqué à l’idée d’une hausse considérable des prix des composants et des produits finis en provenance de Chine.
Des négociations avec les Chinois ont suivi, au cours desquelles Trump a fait marche arrière comme un boxeur professionnel subissant une série de coups au corps. L’économie chinoise se porte plutôt bien et le pays dispose de ressources naturelles telles que les terres rares, dont les États-Unis ont désespérément besoin. Ainsi, lorsque la Chine a riposté en imposant à son tour des droits de douane élevés et en menaçant de restreindre l’accès aux terres rares, Trump a été contraint de négocier. Il a réduit les droits de douane américains à 30 % (tandis que la Chine a réduit ses droits de douane sur les produits américains à 10 %).
Mais voici le hic. Trump a également approuvé la vente de puces informatiques sophistiquées, les puces H20 de Nvidia, conçues pour des applications d’intelligence artificielle, que les administrations américaines précédentes avaient bloquées. Ce type de compromis a signalé à divers acteurs économiques que Trump n’était peut-être pas si sérieux au sujet de ses droits de douane, ou du moins qu’il était possible de négocier avec lui.
Au lieu de se battre comme les Chinois, l’Union européenne a accepté un taux de droits de douane de 15 %. C’est « nettement mieux que les 30 % brandis par Trump », écrit Cecilia Malmström du Peterson Institute. « Mais cela reste bien supérieur au niveau des échanges commerciaux avant le second mandat de Trump, lorsque le taux moyen des droits de douane entre l’Union européenne et les États-Unis n’était que de quelques pourcents. Nous sommes aujourd’hui confrontés aux droits de douane transatlantiques les plus élevés depuis 70 ans. »
Contrairement à la Chine, l’Europe a toutefois du mal à contraindre l’administration Trump à poursuivre ses efforts pour défendre l’Ukraine, ce qui pourrait être considéré comme un coût supplémentaire lié au fait de traiter avec un président imprévisible. Pour apaiser l’administration, l’UE a même reporté de six mois ses mesures de rétorsion.
D’autres pays sont encore en négociation. Le Canada a vu ses droits de douane passer de 25 % à 35 %, mais cela ne concerne qu’une minorité de produits traversant la frontière qui ne sont pas conformes à l’accord entre les États-Unis, le Mexique et le Canada. Trump était furieux des droits de douane imposés précédemment sur les produits américains, que le Canada n’a pas encore supprimés.
Une campagne « Achetez canadien » et une diversification des partenaires commerciaux laissent entrevoir une réduction à long terme de la dépendance du Canada à l’égard des marchés et des fournisseurs américains. L’Inde, qui envisageait déjà des droits de douane de 25 %, doit désormais faire face à un doublement de ce taux parce qu’elle a continué à acheter des combustibles fossiles russes bon marché. Bien que le secteur énergétique indien diversifie déjà ses achats, le gouvernement indien a refusé de céder aux exigences de Trump.
Le Brésil a également refusé de mettre fin à ses enquêtes sur son ancien dirigeant, le putschiste et fan de Trump Jair Bolsonaro, et se voit donc imposer des droits de douane de 50 % par les États-Unis pour des raisons politiques. Taïwan espère réduire ses droits de douane de 20 %, probablement en mettant en avant la dépendance des États-Unis à l’égard de son industrie des semi-conducteurs. Le Myanmar et le Laos, tous deux soumis à des droits de douane de 40 %, auront beaucoup plus de mal à conclure un accord.
Les négociations avec la Chine, les accords avec le Royaume-Uni et l’UE, ainsi que le récent moratoire de 90 jours accordé au Mexique ont tous contribué à donner l’impression que Trump se dégonfle toujours. Ce n’est pas tout à fait exact. Trump n’a pas de position idéologique forte qu’il abandonne ensuite. Il lance simplement des idées en l’air, comme quelqu’un qui essaie des réponses au hasard à une question qu’il ne comprend pas.
Pourquoi la douleur ne s’est-elle pas encore fait sentir ?
Les entreprises américaines espèrent également que Trump finira par retirer ses droits de douane. Bien que les marchés fluctuent avec la même volatilité qui caractérise le tempérament de Trump, les fabricants n’apprécient pas cette imprévisibilité. Ils ont réagi en prenant des mesures de couverture provisoires qui, jusqu’à présent, n’ont pas été répercutées sur les consommateurs. Une tactique populaire consiste à constituer des stocks. Selon CNN :
Best Buy s’est précipité pour acheter des produits électroniques en Asie. American Fireworks Company, à Hudson, dans l’Ohio, a fait le plein de feux d’artifice pour le 4 juillet, presque tous fabriqués en Chine. Le vendeur d’articles pour animaux de compagnie Barton O’Brien, de Kent Island, dans le Maryland, a emprunté de l’argent pour acheter autant de harnais, de colliers et d’autres articles en provenance de Chine qu’il pouvait stocker.
Mais les petites entreprises qui se sont précipitées pour acheter des fournitures avant le 1er avril vont bientôt être à court de stocks. Et cela se traduira par une hausse générale des prix.
Certaines grandes entreprises ont décidé, à court terme, d’absorber les pertes. Ainsi, par exemple, il ne coûte pas vraiment plus cher d’acheter une voiture en ce moment, même si cela devrait être le cas. Au cours des trois premiers mois qui ont suivi les droits de douane imposés par Trump le jour de la « libération », General Motors a perdu plus d’un milliard de dollars, Volkswagen environ 1,5 milliard et Stellantis (propriétaire de Chrysler) environ 1,7 milliard. Mais ces constructeurs automobiles n’ont pas encore répercuté ces coûts sur les consommateurs. Cela montre à quel point ces entreprises réalisent des bénéfices – General Motors a engrangé environ 24 milliards de dollars en 2024 – pour pouvoir absorber de telles pertes. Cela ne durera pas. Ils augmenteront probablement leurs prix parallèlement à d’autres hausses de prix à l’échelle nationale, puis frapperont les consommateurs avec des hausses de prix lorsque les prochains modèles arriveront sur le marché.
Les consommateurs, quant à eux, ont adopté la tactique de la thésaurisation : produits électroniques grand public, pièces automobiles, matériaux de construction, vêtements. Même les membres de l’administration Trump ont fait des stocks de papier toilette en prévision des hausses de prix. Mais les placards ne peuvent contenir qu’un nombre limité de paquets de café brésilien. Et le pire est à venir.
Une tempête parfaite ?
Trump imagine peut-être que les difficultés liées à ses droits de douane disparaîtront à temps pour les élections de mi-mandat. À ce moment-là, il pourra proclamer « mission accomplie » en se tenant debout sur une voiture Ford composée uniquement de pièces fabriquées aux États-Unis.
Cela n’arrivera pas.
D’une part, les États-Unis ne peuvent pas mettre en place une chaîne d’approvisionnement entièrement nationale en quelques années, voire jamais. Certaines choses ne poussent tout simplement pas dans ce pays (les bananes), ne s’y trouvent pas (le manganèse) ou ne sont pas susceptibles d’y être produites par des travailleurs américains (les vêtements bon marché). L’autre défi pour l’administration Trump est la hausse inévitable des prix qui accompagnera les droits de douane et la spirale inflationniste qui s’ensuivra lorsque d’autres pays commenceront à imposer des droits de douane réciproques.
Mais ce n’est pas tout. Ces hausses de prix vont frapper juste au moment où les coupes budgétaires de Trump dans les services publics commenceront à se faire sentir. Il a autorisé plus de mille milliards de dollars de coupes dans les dépenses fédérales consacrées à la santé et à l’aide alimentaire au cours de la prochaine décennie. La plupart de ces coupes entreront en vigueur après les élections de mi-mandat de décembre 2026. Mais les changements dans l’assurance maladie prévus par l’Affordable Care Act commenceront dès janvier 2026. Et les hôpitaux et les cliniques, anticipant les coupes dans les programmes Medicare et Medicaid, commenceront à faire leurs propres coupes avant que le gouvernement fédéral ne ferme les vannes.
Vient ensuite la flambée du chômage. Le taux a légèrement augmenté en juillet, passant de 4,1 % à 4,2 %. Même cette modeste hausse a suffi à Trump pour limoger le directeur du Bureau of Labor Statistics, qu’il a accusé d’avoir falsifié les données pour le discréditer.
Trump a promis une nouvelle ère de croissance de l’emploi grâce à la relocalisation de la production et à la création de nouvelles usines pour produire les pièces dont les droits de douane ont rendu l’importation extrêmement coûteuse. Mais cela ne se produit pas. Après cette brève période d’accumulation, les consommateurs sont de plus en plus réticents à dépenser. La construction et l’industrie manufacturière sont en baisse. Selon plusieurs économistes, l’économie est au bord de la récession, ce qui signifie une forte augmentation du chômage.
Trump peut licencier les statisticiens et publier des rapports économiques trafiqués autant qu’il le souhaite. Mais l’Union soviétique – et son effondrement – témoignent de la difficulté de maintenir de telles fictions. La tempête parfaite, faite de hausse des prix, de baisse de l’emploi et de disparition des aides gouvernementales, se profile à l’horizon. Comment Trump va-t-il réagir ?
Des murs plus hauts ?
Comme pour l’Ukraine, Trump pourrait faire marche arrière et réduire ses droits de douane. Mais les droits de douane et les poursuites judiciaires font tellement partie de son identité qu’il est difficile d’imaginer qu’il abandonne cette stratégie, tout comme il est difficile d’imaginer qu’il écoute les médecins et arrête de manger des Big Macs.
Il est plus probable que, face à la résistance et à l’échec, il redouble d’efforts, comme il l’a si souvent fait au cours de sa carrière. Il faut donc s’attendre à une hausse des droits de douane à l’avenir, tant à l’égard de ses alliés que de ses adversaires, jusqu’à ce qu’il obtienne ce qu’il veut, c’est-à-dire la capitulation. Cette stratégie pourrait fonctionner avec des petits pays comme la Colombie, mais elle n’a aucune chance avec la Russie, la Chine ou le Brésil.
Sur le plan intérieur, face à une tempête parfaite de mécontentement économique, Trump empruntera probablement une technique à Elon Musk : acheter l’électorat. Il a déjà présenté ses « comptes Trump » de 1 000 dollars pour les bébés nés aux États-Unis. Les républicains veulent envoyer un chèque de remboursement de 600 dollars par adulte et par enfant, soit la part de chacun dans les « économies » réalisées grâce aux droits de douane. Il s’agit d’une version actualisée du chèque DOGE qui n’a pas vu le jour lorsque les économies réalisées grâce aux réductions de Musk se sont avérées modestes (c’est le moins qu’on puisse dire) et que Musk a quitté l’administration dans un climat tendu.
Cette dépense d’environ 250 milliards de dollars, qui s’ajoute au découpage électoral au Texas, en Ohio et au Missouri, pourrait bien permettre aux républicains de remporter les élections de mi-mandat, malgré le mécontentement qui bouillonne même dans les circonscriptions républicaines. Selon ce scénario, Trump gardera son atout majeur, la loi martiale, pour 2028, lorsque même les aides gouvernementales et les manœuvres partisanes ne pourront plus compenser la catastrophe économique que son administration aura provoquée pour les Américains ordinaires.
Peut-être ai-je tort et que les États-Unis auront de la chance. Le récent tremblement de terre au large des côtes russes devait provoquer d’énormes raz-de-marée en direction d’Hawaï. Cela ne s’est pas produit.
La politique deTrump pourrait s’avérer être un événement sismique similaire : beaucoup de bruit pour rien. Ce fut largement le cas pendant son premier mandat, lorsque ses pires instincts ont été contrecarrés par des membres de son administration, par le Congrès et par les tribunaux. Ces obstacles ne sont désormais plus que des ralentisseurs.
Malheureusement, je parie donc sur le tsunami.
Traduction Deepl revue ML
John Feffer est directeur de Foreign Policy In Focus. Son dernier ouvrage s’intitule Right Across the World: The Global Networking of the Far-Right and the Left Response.