
Collectif militant regroupant des catholiques engagés dans l’Église catholique notamment en faveur des minorités et contre la banalisation de l’extrême droite.
Il va sans dire que l’on n’est nullement dans l’obligation de partager la foi des auteurs pour pleinement partager leurs craintes d’une montée rapide de l’extrême droite dont celle des extrémistes catholiques et celles d’une captation à leur profit de l’Etat de droit. Notre résistance à la fascisation en cours en France comme ailleurs passe par la défense de la démocratie et des acquis politiques et sociaux. ML
Tribune parue dans Mediapart le 27 juillet 2025.
« Le véritable danger pour la République provient des ultraconservateurs catholiques »
« Il est temps de regarder la vérité en face ». Un ensemble de catholiques dénonce la banalisation des idéologies d’extrême droite dans leur communauté religieuse. « Notre prise de position a un objectif : alerter sur le risque que nous prenons collectivement à laisser la frange la plus conservatrice du catholicisme posséder des médias, diriger des ministères de notre pays, investir dans des biens culturels, éditer les programmes scolaires de nos enfants… ».
Des personnalités issues des franges conservatrices et traditionalistes du catholicisme n’ont pas attendu 2025 pour s’attaquer aux valeurs de notre République et à son système démocratique. En revanche, nous constatons avec effroi une minimisation voire un déni collectif autour des risques que peut représenter le catholicisme dans son approche rigoriste et ultra conservatrice.
L’objectif de ces personnalités catholiques est de servir, non pas l’intérêt commun ou les valeurs évangéliques d’accueil et d’amour inconditionnels, mais bien des idéologies excluantes tout en cherchant à déstructurer notre système démocratique ainsi que l’État de droit sur lequel il repose.
L’Etat de droit peut se définir « comme un système institutionnel dans lequel la puissance publique est soumise au droit »[1]. Il est une des « conditions de notre démocratie et de notre vivre-ensemble » puisqu’il permet notamment « de protéger les libertés et les droits de chacun »[2].
En d’autres termes, l’Etat de droit assure que la majorité des membres d’une société ne puisse pas opprimer et s’attaquer aux droits d’une minorité. Dans la mesure où les Evangiles nous invitent à défendre les droits des opprimés, des minorités, des marginalisés et des pauvres, nous ne pouvons qu’être des défenseurs de notre État de droit[3] .
Maintenant que nous avons rappelé cela, comment ne pas être révolté et indigné par les propos suivants du ministre catholique Bruno Retailleau : « l’État de droit, ça n’est pas intangible, ni sacré »[4].
Ce même Bruno Retailleau qui avait parlé de « régression vers les origines ethniques »[5] pour parler des révoltes de jeunes de quartiers populaires à la suite de la mort de Nahel tué par un policier. Être un catholique tenant des propos racistes et anti-démocratiques ne lui suffisait pas, alors il a décidé d’ajouter officiellement l’islamophobie sur son CV à l’occasion d’un rassemblement contre l’islamisme durant lequel il a scandé : « À bas le voile ! ».
Une nouvelle attaque lancée contre les femmes portant le voile dans un contexte de très forte hausse des violences et des discriminations à l’encontre de la communauté musulmane[6].
Les dernières semaines ont tragiquement illustré que la violence de la stigmatisation islamophobe par les mots peut se transformer par la suite en violences par les gestes : meurtre d’Aboubakar Cissé dans une mosquée le 25 avril ; arrachage du voile d’une passante à Poissy le 28 avril ; agression d’une femme voilée par une vingtaine de personnes le 19 juin ; etc.
Des événements terribles qui ont poussé le Recteur de la Grande Mosquée de Paris, Chems-Eddine Hafiz[7], à déclarer dans une tribune publiée par La Croix : « Depuis des années, les musulmans de France vivent dans l’ombre d’une suspicion infondée. Ce qui n’était qu’un folklore marginal d’extrême droite est devenu un fonds de commerce électoral, une routine médiatique, une manière habile de désigner un « problème » national. On ne parle plus de race, on parle de foi. »
Ce « fonds de commerce électoral », certaines personnalités politiques catholiques conservatrices, à l’instar de M. Retailleau, y contribuent abondamment.
En tant que ministre des cultes, Bruno Retailleau fait preuve d’un deux poids deux mesures en fonction des religions qui nous est parfaitement insupportable alors que nous sommes membres de la religion privilégiée. Il a notamment refusé de rompre le jeûne au sein de la Grande mosquée de Paris malgré la tradition des ministres des cultes, en avançant l’argument fallacieux du respect de la laïcité[8].
Sans chercher ici à déconstruire la version erronée de la laïcité prônée par Retailleau, nous tenons néanmoins à rappeler qu’il n’avait eu aucune difficulté à assister à la messe du pape à Ajaccio en décembre 2024 ou à publier sur X un « très joyeux Noël […] pour les chrétiens […] »[9]. Sa laïcité ne s’applique donc que pour les musulmans !
Cela fait des années que les médias d’extrême droite, notamment ceux du groupe Bolloré, imposent dans le débat public une panique morale autour de l’islam politique ou radical, qui serait le principal danger pour notre démocratie, leur permettant ainsi de stigmatiser l’ensemble des musulmans.
Si nous ne remettons pas en cause le risque réel de terrorisme par des fanatiques utilisant leur lecture fallacieuse du Coran pour légitimer leur folie meurtrière, nous considérons en revanche que ces actions n’ont pas la capacité de détruire notre système démocratique et de réduire les droits des minorités en France.
À la différence du courant catholique conservateur, celui de l’Islam conservateur ne dispose pas, aujourd’hui en France, de relais aussi influents dans les sphères de pouvoir.
Du côté des catholiques conservateurs voire réactionnaires, nous pensons notamment à de très nombreuses personnalités politiques : Laurence Garnier, Annie Genevard, Catherine Vautrin, Bruno Retailleau, François Bayrou, François Xavier Bellamy, et bien d’autres encore. Médiapart a révélé dans un article le 6 juillet 2025 des archives inédites sur « la croisade des cathos réacs » au sommet de l’État visant à influer sur les actions des gouvernements.
Si nous regardons dans le monde les dernières accessions au pouvoir de personnalités politiques venant « des franges extrémisées de droite »[10], nous constatons que les chrétiens ultraconservateurs ont eu une très grande responsabilité dans ces victoires et la montée de partis de haine. Ce fut le cas au Brésil avec Jair Bolsonaro, aux Etats-Unis avec Trump, en Italie avec Meloni, etc.
Aujourd’hui en France, nous commençons à voir une convergence des ressources de l’extrême droite catholique pour faire triompher une personnalité compatible avec leur vision du monde et de la société. Les tic et tac de l’extrême droite catholique, Vincent Bolloré et Pierre Edouard Stérin, mettent depuis des années leur argent et leurs entreprises au service de ce projet idéologique.
Et depuis quelques semaines, leur nouveau poulain se nomme… Bruno Retailleau. Tout comme le docteur en science politique Clément Viktorovitch, nous pensons que Bruno Retailleau est « le ministre le plus dangereux de la République » pour notre système démocratique et donc pour les minorités de ce pays [11].
Notre prise de position a un objectif : alerter sur le risque que nous prenons collectivement à laisser la frange la plus conservatrice du catholicisme posséder des médias, diriger des ministères de notre pays, investir dans des biens culturels, éditer les programmes scolaires de nos enfants…
Nous craignons pour la vie de nos frères et nos sœurs musulmans, migrants, LGBTQIA+, racisés, ou issus de quartiers populaires. Il est urgent de réagir pour endiguer l’influence du conservatisme catholique sur notre vie publique et sur l’Eglise de France !
« Jésus ne nous invite pas à nous demander qui est proche de nous, mais à nous faire proches, prochains. » Fratelli Tutti, lettre Encyclique du Pape François sur la fraternité et l’amitié sociale.
Signataires :
Membres du collectif catholique P.A.I.X :
Olivier Perret
Jean-Christophe Boucly
Manon Segur
Jean Fucher
Ambre Guilloux
Jean-Michel Dunand
Thomas Mandroux
Emilie Lledos
Marie-Louise Camara
Anne-Claire Rutten
Chloé Graziano
Laurène Merlant
Blandine Parc
Autres signataires :
Benoît Henriques, chrétien anticapitaliste membre du rézo TCHAAP
Christian Terras, catholique et rédacteur en chef de l’hebdomadaire « Golias Hebdo »
*
[1] Définition issue du site gouvernemental www.vie-publique.fr
[2] « [Entretien] « L’État de droit est une des conditions de notre démocratie et de notre vivre ensemble », Site du Conseil d’État, 20 juin 2024.
[3] Voir, entre autres, Matthieu 19, 21-24 (« Va, vends ce que tu possèdes, donne-le aux pauvres (…) Il est plus facile à un chameau de passer par le trou d’une aiguille qu’à un riche d’entrer dans le royaume de Dieu »), Matthieu 5, 5-10 (« Heureux les doux (…) Heureux ceux qui ont faim et soif de justice (…) Heureux les artisans de paix (…) Heureux les persécutés pour la justice »), Luc 4, 16-21 (« L’Esprit du Seigneur est sur moi, car il m’a oint pour annoncer une bonne nouvelle aux pauvres, pour proclamer aux captifs la délivrance, aux aveugles le retour à la vue, pour renvoyer libres les opprimés… »).
[4] « Bruno Retailleau au JDD : « Il faut renverser la table en mémoire de Philippine », JDD, 28 septembre 2024.
[5] « Le ministère de l’Intérieur Bruno Retailleau rompt avec la tradition de l’iftar à la Grande mosquée de Paris », France Info, 19 mars 2025.
[6] Il y a eu au premier trimestre 2024 une hausse de 72% des actes antimusulmans par rapport à la même période l’an dernier. De plus, ces chiffres seraient sous-évalués selon des représentants de la communauté musulmane. (Source France Info : https://www.franceinfo.fr/societe/islamophobie/discrimination-les-actes-antimusulmans-en-forte-recrudescence_7220571.html)
[7] Tribune « Chem-eddine Hafiz : « Tant que l’islamophobie ne sera pas nommée, d’autres tragédies se produiront », La Croix, 10 juin 2025.
[8] « Quand Bruno Retailleau boycott l’iftar de la Grande Mosquée de Paris », France 24, 19 mars 2025.
[9] Message publié le 25 décembre 2024 sur son compte X.
[10] Ce concept est issu du livre « Comment le fascisme gagne la France », Page 72, éditions de la Découverte, publié en 2025, et écrit par Ugo Palheta, sociologue et maître de conférences à l’université de Lille.
[11] Réflexion issue de sa vidéo Youtube « Israël – Iran : l’embrasement mondial ? – Replay du 16/06/2025 », 1:45:50, Chaîne Youtube ClemovitchReplay, publié le 17/06/2025.Recommander (127)Recommander (127)
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