, par GRAHAM-HARRISON Emma
Deux organisations éminentes de défense des droits humains basées en Israël, B’Tselem et Physicians for Human Rights Israel (PHRI-Médecins pour les droits humains), affirment qu’Israël commet un génocide contre les Palestiniens à Gaza et que les alliés occidentaux d’Israël ont le devoir légal et moral d’y mettre fin.

Yuli Novak, directrice de B’Tselem
Dans des rapports publiés ce lundi 28 juillet, les deux organisations ont déclaré qu’Israël avait pris pour cible des civils à Gaza uniquement en raison de leur identité palestinienne pendant près de deux ans de guerre, causant des dommages graves et parfois irréparables à la société palestinienne.
De nombreuses organisations internationales et palestiniennes ont déjà qualifié cette guerre de génocidaire [1], mais les rapports de deux des organisations de défense des droits humains les plus respectées d’Israël et de Palestine, qui documentent depuis des décennies des violations systématiques, devraient renforcer la pression pour que des mesures soient prises.
Les rapports détaillent des crimes tels que le meurtre de dizaines de milliers de femmes, d’enfants et de personnes âgées, les déplacements forcés et la famine à grande échelle, ainsi que la destruction de maisons et d’infrastructures civiles qui ont privé les Palestiniens de soins de santé, d’éducation et d’autres droits fondamentaux.
« Ce que nous voyons, c’est une attaque claire et intentionnelle contre des civils dans le but de détruire un groupe », a déclaré Yuli Novak, directrice de B’Tselem, appelant à une action urgente. « Je pense que chaque être humain doit se poser la question suivante : que faites-vous face à un génocide ? »
Il est essentiel de reconnaître qu’un génocide est en cours même sans décision de la Cour internationale de justice, a-t-elle déclaré. « Le génocide n’est pas seulement un crime juridique. C’est un phénomène social et politique. »
Physicians for Human Rights (PHRI) concentre son rapport sur un compte rendu chronologique détaillé des attaques contre le système de santé de Gaza, avec de nombreux détails documentés directement par l’équipe de l’ONG, qui a travaillé régulièrement à Gaza avant le 7 octobre 2023.
« Il n’est pas nécessaire que les cinq articles de la convention sur le génocide soient tous remplis pour qu’il y ait génocide », a-t-il déclaré, bien que le rapport détaille également d’autres aspects génocidaires de la guerre menée par Israël.
B’Tselem et PHRI ont toutes deux déclaré que les alliés occidentaux d’Israël facilitaient la campagne génocidaire et partageaient la responsabilité des souffrances à Gaza. « Cela ne pourrait pas se produire sans le soutien du monde occidental », a déclaré Yuli Novak. « Tout dirigeant qui ne fait pas tout ce qui est en son pouvoir pour y mettre fin est complice de cette horreur. »
Les Etats-Unis et les pays européens ont la responsabilité juridique de prendre des mesures plus énergiques que celles qu’ils ont prises jusqu’à présent, a déclaré Guy Shalev (directeur de PHRI). « Tous les outils à notre disposition doivent être utilisés. Ce n’est pas notre opinion, c’est ce qu’exige la convention sur le génocide. »
Israël nie commettre un génocide et affirme que la guerre à Gaza est une guerre de légitime défense après les attaques transfrontalières du Hamas du 7 octobre 2023 qui ont tué 1200 personnes, dont une majorité de civils. Plus de 250 autres personnes ont été enlevées et emmenées à Gaza, où 50 sont toujours retenues en otage, dont 20 seraient encore en vie.
Un élément clé du crime de génocide, tel que défini par la convention internationale, est la manifestation de l’intention d’un Etat de détruire un groupe cible en tout ou en partie.
Les déclarations génocidaires de responsables politiques et de chefs militaires, ainsi que la chronologie des effets bien documentés sur les civils après près de deux ans de guerre, sont la preuve de cette intention, même en l’absence de traces écrites d’ordres émanant des plus hautes autorités, affirment PHRI et B’Tselem.
Le rapport de PHRI détaille comment « l’intention génocidaire peut être déduite du comportement », en citant un précédent juridique du Tribunal pénal international pour le Rwanda.
Selon Guy Shalev, les documents exhaustifs rassemblés par des médecins, des médias et des organisations de défense des droits humains sur une longue période empêchent le gouvernement israélien de prétendre qu’il n’avait pas conscience de la portée de ses actions. « Israël a eu suffisamment de temps et d’occasions pour mettre fin à cette attaque systématique et progressive. »
Des incitations au génocide ont été enregistrées depuis le début de la guerre. C’est l’un des deux points sur lesquels le juge israélien saisi de l’affaire devant la Cour internationale de justice s’est prononcé avec la majorité lorsqu’il a ordonné des mesures d’urgence pour protéger les Palestiniens d’un risque plausible de génocide.
« Nous n’avons pas besoin de deviner ce que fait Israël et ce que fait l’armée israélienne, car dès le premier jour de cette attaque, les dirigeants israéliens, les plus hauts dirigeants, les dirigeants politiques, y compris le Premier ministre, le ministre de la Défense et le président d’Israël, ont dit exactement cela », a déclaré Yuli Novak.
« Ils ont parlé d’animaux humains. Ils ont dit qu’il n’y avait pas de civils à Gaza ou qu’une nation entière était responsable des événements du 7 octobre… Si les dirigeants israéliens, qu’il s’agisse des responsables militaires ou politiques, connaissent les conséquences de cette politique et continuent à la mener, il est très clair qu’il s’agit d’une action délibérée. »
La destruction des infrastructures sanitaires, deux ans sans soins médicaux et le meurtre de personnel médical signifient également que le bilan du génocide continuera de s’alourdir même après l’arrêt des combats, a déclaré Guy Shalev.
« Par exemple, il n’y a plus d’appareils d’IRM à Gaza depuis des mois, alors qu’en est-il de toutes les maladies qui n’ont pas été diagnostiquées pendant tout ce temps ? Il y a tous les cas de malnutrition et de maladies chroniques qui n’ont pas été traités, nous en verrons les effets pendant des mois et des années. » [voir à ce sujet l’article du Washington Post du 24 juillet sur les effets de la famine « Mass starvation stalks Gaza as deaths from hunger rise »].
Si les médicaments peuvent être acheminés en quelques jours, il n’est pas facile de remplacer les professionnels de santé qui ont été tués, notamment les spécialistes qui ont mis des décennies à se former, a-t-il ajouté.
« Lorsque l’on observe les conditions de vie, on se rend compte de l’ampleur du travail à accomplir et cela fait peut si l’on veut croire en un avenir où… les habitants de Gaza pourront vivre en sécurité et en bonne santé. C’est très difficile à imaginer. »
Le nombre de morts à Gaza depuis le début de la guerre approche les 60 000, soit plus de 2,5% de la population d’avant la guerre. Certains défenseurs de la guerre menée par Israël affirment que ce chiffre est trop faible pour que cette opération soit considérée comme un génocide.
Cela repose sur une incompréhension fondamentale du crime de génocide, que la convention définit comme visant un groupe « en tout ou en partie », a déclaré Yuli Novak. « Cela ne signifie pas qu’il faille tuer chaque personne. »
Un génocide visant les Palestiniens en tant que groupe n’a été possible que parce qu’Israël a déshumanisé les Palestiniens pendant des décennies et leur a refusé leurs droits, a souligné Yuli Novak. Le traumatisme collectif [du 7 octobre] a été exploité par les responsables politiques d’extrême droite pour accélérer un programme qu’ils poursuivaient depuis des années.
« [Le 7 octobre] a été un moment choquant et un tournant pour les Israéliens, car il a instillé un sentiment réel et sincère de menace existentielle. C’est à ce moment-là que tout le système et son fonctionnement à Gaza sont passés d’une politique de contrôle et d’oppression à une politique de destruction et d’extermination. »
Maintenant qu’Israël a lancé une campagne génocidaire à Gaza, il y a un risque imminent qu’elle s’étende à d’autres Palestiniens, a averti le rapport de B’Tselem.
« Le régime israélien dispose désormais d’un nouvel outil qu’il n’avait jamais utilisé auparavant : le génocide. Et le fait que cet outil ou cette politique utilisé à Gaza ne soit pas encore [déployé] dans d’autres régions n’est pas quelque chose sur lequel nous pouvons compter longtemps », a déclaré Yuli Novak.
La Cisjordanie est particulièrement préoccupante, avec près de 1000 Palestiniens tués et plus de 40 000 déplacés de leurs communautés notamment Jénine et Tulkarem, dans le cadre d’une campagne d’attaques et de nettoyage ethnique qui s’intensifie depuis le 7 octobre 2023.
« Ce que nous voyons, c’est essentiellement le même régime avec la même logique, la même armée, généralement les mêmes commandants et même les mêmes soldats qui viennent de combattre à Gaza. Ils se trouvent désormais en Cisjordanie, où la violence s’intensifie », a déclaré Yuli Novak.
« Ce qui nous inquiète et ce contre quoi nous voulons mettre en garde, c’est le fait que le plus petit élément déclencheur pourrait faire déborder le génocide de Gaza vers la Cisjordanie. »
Emma Graham-Harrison
• Article publié par The Guardian le 28 juillet 2025 ; traduction rédaction A l’Encontre le 28 juillet 2025 :
https://alencontre.org/moyenorient/palestine/btselem-et-physicians-for-human-rights-israel-israel-commet-un-genocide-a-gaza.html