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La voix de l’opposition démocratique russe : l’effondrement du régime de Poutine est-il à l’ordre du jour ?

Tribune de Robert Duguet

Nous publions dans Samizdat 2 depuis décembre 2023 des articles extraits du site de Garry Kasparov (1) rédigés par des membres en exil d’une opposition au régime de Poutine se définissant comme démocratique et libérale. On retrouve régulièrement les noms de KseniaKirillova, Vladimir Pasthukov et Alexander Nemets. Ces auteurs procèdent à un examen approfondi depuis trois ans depuis l’offensive contre l’Ukraine de février 2022 du régime de Poutine et de ce qu’il devient. La question n’est pas de savoir si cette opposition a un point de vue convergeant sur l’orientation politique qu’il faudra mettre en œuvre lorsque la dictature néo-fasciste s’effondrera. Un tel point de vue n’existe manifestement pas. Mais leur analyse fait l’effort d’en poser tous les aspects : économiques, politiques, géopolitiques et militaires. Depuis le début du mois de juillet ils soulignent dans leurs écrits que la crise du régime dictatorial de Poutine est en train de s’emballer. La question de son effondrement est-elle à l’ordre du jour ? 

En avril, Ksenia Kirillova aborde aussi bien les questions militaires qu’économiques. Dans le contexte du ralentissement de l’économie mondiale et de la baisse du prix du pétrole, elle souligne que la radicalisation des attaques quotidiennes contre l’Ukraine engage l’augmentation des dépenses militaires et donc accélère la crise de l’économie russe. Le régime n’évitera pas la dévaluation du rouble. Par ailleurs l’économie de guerre, c’est corruption à tous les niveaux de cette petite couche sociale parasite qui a intérêt à continuer la guerre. Cela ne va pas sans s’en prendre à la vie des citoyens ordinaires.

Fin juin Ksenia Kirillova insiste sur la frappe des drones ukrainiens du 1er juin sur des aérodromes russes ; l’Ukraine a touché près de 20 avions militaires russes, en détruit une dizaine. Les analystes estiment qu’il faudra des années à Moscou pour remplacer les avions endommagés. Malgré la riposte et les attaques quotidiennes sur les villes ukrainiennes et sur Kiev, malgré des crimes de guerre délibérés touchant des populations civiles (citons l’exemple du bombardement d’une maternité), la prétendue offensive d’été qui devait aboutir à l’écrasement de l’Ukraine n’est pas au rendez-vous.

Les pertes de l’armée russe ne cessent d’augmenter année après année. L’auteur insiste sur un point capital, celui du moral d’une armée à qui sa hiérarchie exige de plus en plus de sacrifices. L’état déplorable de la médecine de ligne, les blessés sont renvoyés au front mal soignés. La corruption se généralise entretenu à tous les échelons par la hiérarchie militaire elle-même. La guerre devient une affaire de gros sous. L’auteur apprécie l’état d’esprit de la population comme suit : « Cela ne signifie pas que les Russes ordinaires commenceront à protester contre la guerre. Cependant, conscients de son caractère corrompu et cynique, il est peu probable qu’ils considèrent cette guerre comme « juste » et « populaire ».  

Poutine se déclarant le nouveau centre du monde face au « monde occidentale », compte aujourd’hui peu de vrais alliés pour soutenir sa guerre d’agression, et de plus il se « comporte avec eux de manière imprévisible, mais parfois franchement hostile ». Suite à la frappe israélienne sur l’Iran, alors que Moscou a besoin des drones de combat à longue portée ainsi que des dessins des drones Shahed-136 pour les fabriquer sur son territoire, Poutine poignarde son allié. De même avec la Chine, dont il a un urgent besoin. L’hystérie militariste est la seule ligne de conduite. L’auteure conclut :

« Ainsi, il est évident que Moscou essaie d’obtenir le maximum d’avantages de ses alliés, mais non seulement il ne prévoit pas de les aider en retour, mais qu’il mène également une guerre secrète contre eux, qui peut s’exprimer sous diverses formes – de l’espionnage au sabotage. »

Autre auteur Alexander Nemets titre le 13 juillet : « Il faut en profiter ! en 2025, l’économie russe est passée d’une crise lente à une crise aiguë » Chiffres à l’appui l’auteur démontre qu’elle est pire que jamais depuis le début de la guerre et plus grave que depuis la grande récession de 2008-2009.(2). La politique du régime entre dans une folie « imprévisible, insensée, Poutine n’ayant qu’une seule motivation, maintenir sa « légitimité », continuer sa guerre. » Un cran supplémentaire est franchi le 20 juillet. Nemets titre : « La Russie est en train de tomber. Poutine a-t-il les outils pour corriger la situation économique ? » Les moscovites peuvent toujours se promener dans le centre, des cafés et des boutiques de luxe accueillent les chalands… « Tout comme à Berlin au début des années 1940 », ajoute l’auteur. La réalité aujourd’hui c’est que 45% à 50% de la population vit dans la pauvreté ou à proximité de la pauvreté. Que Poutine n’a ni les moyens ni la volonté de corriger cette situation, mais s’obstine à continuer la guerre et à accentuer la répression contre la majorité de la population et de ne défendre que les siens, c’est-à-dire la partie de la population investie dans l’industrie de guerre. 

A l’international l’auteur souligne le revirement de Trump qui permettra à nouveau d’envoyer des armes aux ukrainiens. L’Azerbaïdjan se prépare à agir contre la Fédération de Russie, tout en s’alliant à la Turquie d’Erdogan : « Ce bloc peut très facilement transformer la lente guerre de guérilla au Daghestan en une guérilla de masse, qui, à son tour, se propagera rapidement à toutes les républiques nationales du Caucase du Nord. » L’Arménie, ennemie historique de la Turquie, s’oppose à Poutine. Ces jours-ci sa police empêche l’armée russe de récupérer un déserteur. 

Vladimir Pastukhov, notre troisième mousquetaire, pose la question des ressources limitées s’appliquant de fait à Poutine (3). Pour la première fois son article pose la question : sommes-nous entrés dans la Révolution ? Il soulève ici la question du rapport du peuple russe à la Révolution. C’est la première fois que l’auteur parle de cette manière. Ce n’est pas du tout une vue de l’esprit déplacée et abstraite : certes, pour l’instant la dictature tient, mais dans les conditions d’un sabordage de l’économie réelle du pays, produite par le parasitisme complet de l’économie de guerre. Cet état n’est pas extensible à souhait. Lorsqu’un gouvernement en est au stade où il envoie sous les drapeaux le meurtrier d’une jeune fille de 17 ans avec un statu d’étudiant, pratique courante, cela donne la dimension de la crise de la dictature. Hitler sortait des prisons la lie de l’humanité pour en faire des exécutants de son parti.

Lénine revient sous la plume de Pasthukov : on sait que Poutine a maudit ce dernier car il est responsable d’avoir reconnu les droits des minorités opprimées. Le régime a fait édifier des statues à la gloire de Staline. Pasthukov écrit que Poutine ne peut que faire la guerre, il y est obligé, il doit garantir par la corruption la plus coûteuse la petite couche qui l’a soutenu dans l’aventure. Son ministre des affaires étrangères déclare en Turquie face aux représentants ukrainiens: « vous n’êtes pas une Nation! Vous n’êtes pas un pays! » Il faudrait maintenant à Poutine une défaite significative de l’Ukraine pour se protéger, mais elle ne vient pas. Certes, on peut tout à fait imaginer, qu’une partie de son oligarchie politique, voyant l’impasse actuelle, se livre à un complot pour ne pas tout perdre de ce qu’elle a tiré de l’économie de guerre et de la corruption facile. Ce serait alors quelque chose comme une « révolution » de palais, c’est-à-dire rien du point de vue de l’intérêt des masses et de la Révolution elle-même. Pasthukov pense en fonction de la mort biologique de Poutine, il se projette après. Mais peut être que c’est le régime lui-même qui est à l’agonie maintenant.

Le régime franchit un pas de plus dans l’organisation de la terreur : les dernières dispositions prises par la Douma donne tous les pouvoirs au FSB par rapport à la justice. 

Les messages de ces derniers jours insistent sur cette radicalisation. Ainsi la volonté de supprimer WhatsApp sur le territoire de la fédération de Russie. On comprend effectivement ce que cherche à faire la dictature : 58% de citoyens russes utilisent ce logiciel, qui permet d’être en contact téléphonique audio ou vidéo avec la planète entière, et qui plus est gratuitement. D’où les contacts entre citoyens russes de l’intérieur et ceux de l’extérieur. Les informations sur les sites que nous couvrons pour nos lecteurs français transitent forcément par ce type de logiciel. WhatsApp a été mis en service par les néo-libéraux pour faciliter les échanges économiques mondiaux. Las ! Ici il sert de fait pour faciliter le travail de taupe de l’opposition démocratique, au moment de l’effondrement de la dictature l’opposition prendra sa vraie dimension sociale dans la Révolution. Or WhatsApp a un concurrent solide sur le net, c’est le Wechat des chinois qui remplit les mêmes fonctions et qui est même plus performant pour les échanges commerciaux et les transferts d’argent. Et comme le régime de Poutine a encore besoin de la Chine… Nul doute que si WhatsApp est supprimé en Russie, les 58% de citoyens de citoyens russes qui vont chercher leur information sur le net trouveront une alternative facilement. Dernièrement la Douma vient d’arrêter une procédure de mise en tutelle des opérateurs mobiles qui devront transmettre les noms, les données de passeport et les adresses résidentielles de leurs abonnés au Service fédéral de sécurité et au ministère de l’Intérieur de la Fédération de Russie. 

Le rêve impossible de la dictature : mettre un flic derrière l’écran d’ordinateur de tous les citoyens russes de moins de 35 ans.

Poutine a mis le feu, il n’est pas près de s’éteindre. En Ukraine aujourd’hui la jeunesse manifeste contre des députés qui protègent la corruption de l’oligarchie. La Révolution dans les balkans, elle est là ! Ce sont la jeunesse et les travailleurs serbes qui la conduisent par leurs assemblées populaires revendiquant de nouveaux députés contrôlés par eux-mêmes. La chaine s’est brisée dans son maillon le plus faible, la résistance à l’Empire. Les droits des minorités nationales opprimées ne peuvent se résoudre que par le caractère social de la Révolution.

Notes :

https://samizdat2.org/la-perspective-dentrer-dans-la-revolution-vladimir-pastukhov-toute-ressource-est-limitee-meme-celle-de-poutine