International, Politique et Social

Le Parti de la Gauche Européenne se renforce ; l’internationalisme reste en suspens.

Où va la « gauche » au Parlement européen et ailleurs? Effectivement la Russie est « un éléphant dans la pièce », et la gauche ne peut exister sans un soutien ferme à la résistance ukrainienne. La discussion ouverte autour du plan Rearm UE est illutrative des errements d’une gauche campiste engluée dans les scories du stalinisme. ML

La Riposte

Deux nouveaux partis viennent récemment d’intégrer le Parti de la gauche européenne (PGE / European Left). 

Dans un communiqué publié sur son site en janvier, le parti, fondé en 2004, et qui rassemble actuellement 24 partis communistes et antilibéraux d’Europe membres ainsi que 9 autres partis à titre d’observateurs avait annoncé l’arrivée prochaine du Parti du travail de Belgique (PTB/PVDA) et du parti grec Nouvelle Gauche (Néa Aristerá), issu d’une scission de Syriza. 

Le PGE est actuellement présidé par l’autrichien Walter Baier (KPÖ), qui avait succédé en 2022 à l’allemand Heinz Bierbaum (Die Linke). Vincent Boulet, responsable du secteur international du PCF et adjoint au maire dans le 13earrondissement de Paris en est le vice-président. 

Ses députés européens siègent au sein du groupe The Left (La Gauche), nouvelle dénomination du groupe GUE/NGL (Gauche unitaire européenne / Gauche verte nordique), qui compte 46 parlementaires européens sur 720 depuis les élections européennes de juin 2024, en progression de cinq sièges depuis les élections européennes de 2019. 

Si le groupe de La Gauche au parlement européen ne rassemblait pas uniquement des membres du PGE, ces derniers y sont désormais minoritaires : en effet, au mois de septembre dernier, plusieurs partis qui étaient auparavant membres du PGE ont fait scission et ont suivi LFI et les espagnols de Podemos pour former un nouveau parti européen, « l’Alliance de gauche européenne pour les peuples et la planète (ELA) ». Ce nouveau mouvement européen héritier du réseau « Maintenant le peuple ! » rassemble des formations populistes de gauche qui rejettent l’héritage communiste. 

L’arrivée du PTB et de Néa Aristerá renforcera donc le PGE et vient démentir les reproches qui lui ont été faits par LFI et ses alliés européens. 

Pour le PGE, « Avec des victoires notables au niveau local, le PTB/PVDA s’est imposé comme une force politique croissante en Belgique. En demandant à rejoindre le parti de la Gauche européenne, le PTB/PVDA témoigne de son engagement dans une lutte commune pour une Europe meilleure, plus juste et plus équitable. Nous sommes tout aussi ravis que Néa Aristerá, […], ait également demandé à rejoindre notre mouvement. La nouvelle gauche milite depuis longtemps pour la construction de fronts unis entre les forces de gauche et progressistes à travers l’Europe. En Grèce, une nation profondément touchée par les mesures d’austérité, la candidature de Néa Aristerá souligne sa volonté de favoriser l’unité ».

Le PGE a validé l’intégration du PTB et de la Nouvelle Gauche lors d’une assemblée fin avril à Bruxelles en présence de Walter Baier (président du Parti de la Gauche européenne), Sira Rego (ministre espagnole de la Jeunesse et de l’Enfance) et Tea Jarc (secrétaire confédérale pour la Confédération européenne des syndicats). 

Le PTB est convaincu que « Face aux attaques contre la classe travailleuse, à la militarisation, au défi climatique, notre réponse doit être internationale. Ce sont ces combats que nous allons continuer à mener avec le Parti de la Gauche européenne, les syndicats et le monde associatif ». 

Le lancement de deux initiatives pour la paix

L’arrivée de ces deux nouveaux partis au sein du Parti de la gauche européenne n’est pas sans lien avec le contexte international : la guerre en Ukraine, les visées impérialistes de Donald Trump et l’émergence d’une internationale réactionnaire obligent les partis communistes à accroître leur coopération et le PGE est aujourd’hui l’un des principaux espaces de coopération entre les partis communistes d’Europe pour mener des campagnes communes. 

Déplorant « l’absence de réaction de la part des classes dirigeantes européennes et de la Commission européenne », « la capitulation de l’Europe au capitalisme américain, avec le soutien actif des forces d’extrême droite en Europe » et « la pression exercée sur les États pour augmenter leurs dépenses militaires à 5 % », le PGE annonce la tenue prochaine du Forum européen des forces de gauche, progressiste et verte.

Également annoncée par le Parti de la gauche européenne, une conférence pour la paix en Europe vient de se tenir ce lundi 5 mai, à Paris. Le PCF y avait invité sept partis communistes et ouvriers européens à se réunir à Paris : le Parti communiste portugais, le Parti communiste d’Espagne, le Parti du travail de Belgique, le Parti de la refondation communiste-gauche européenne (Italie), AKEL (Chypre), le Parti communiste d’Autriche et le Parti communiste de Bohême-Moravie. Ce format de travail, note le PCF, « a pour objectif d’offrir un espace de dialogue à des partis communistes membres du groupe The Left au Parlement européen ou bien membres ou observateurs du PGE ». 

Un article publié dans le numéro 1040 de CommunisteS du 7 mai 2025 note que « Les critiques de l’OTAN, du plan « Rearm UE » et de l’impasse stratégique de la soumission de l’UE à l’OTAN et aux USA, dont on voit aujourd’hui toute l’ampleur, sont bien entendu partagées » entre les partis représentés à la conférence pour la paix en Europe, qui plaident pour « la construction d’une alternative pour la sécurité collective des peuples en Europe, alors que les classes dirigeantes du continent le poussent sur la voie d’une confrontation armée ».

L’éléphant dans la pièce

Les partis communistes européens ont bien entendu raison de critiquer la soumission de l’Union européenne à l’OTAN et aux USA, mais étonnamment, le texte paru dans CommunisteS, en guise de compte-rendu d’une conférence pour la paix en Europe ne dit pas un mot de la Russie, qui a déclenché en 2022 une guerre d’agression en Ukraine, et dont l’effort de guerre est soutenu par la Corée du Nord et l’Iran. 

Vouloir construire une sécurité collective en Europe sur le modèle de la Conférence sur la sécurité et la coopération en Europe qui s’achève le 1er août 1975 par la signature de l’Acte final d’Helsinki est un objectif louable. Dans le contexte de la « détente » et de l’affaiblissement des États-Unis post-Vietnam, la conférence d’Helsinki avait posé les bases du dialogue multilatéral Est-Ouest. 

Parmi les dix principes adoptés à Helsinki, il y avait en particulier « le non-recours à la menace ou à l’emploi de la force », « l’inviolabilité des frontières », « l’intégrité territoriale des frontières » ainsi que le « règlement pacifique des différends », toutes choses que la Fédération de Russie n’a cessé de violer depuis un quart de siècle en envahissant la Géorgie en 2008, en s’emparant de la Crimée en 2014, en soutenant des mouvements séparatistes dans le Donbass avant d’envahir l’Ukraine en février 2022 avec l’objectif d’annexer des régions entières du territoire ukrainien et de faire de l’Ukraine un État vassal de la Russie comme l’est le Bélarus. 

Rarement cité dans les textes du Parti de la gauche européenne, la Russie est comme « l’éléphant dans la pièce » que l’on refuse de voir, comme si l’internationalisme des partis communistes et post-communistes européens en était resté à la « doctrine Jdanov ».

En septembre 1947, Andreï Jdanov, un proche de Staline, secrétaire général du Parti communiste de Léningrad et membre du politburo voyait dans les prémisses de la Guerre froide une opposition géopolitique et idéologique entre deux camps antagonistes : d’un côté, le camp impérialiste dirigé par les États-Unis et leurs alliés, et de l’autre, le camp anti-impérialiste mené par l’URSS et ses pays alliés. 

Cette thèse a inspiré les partis communistes du monde entier même après la dissolution du Kominform en 1956. Pendant toute la période de la Guerre froide, l’analyse en termes de blocs antagonistes et la critique de l’impérialisme des États-Unis et de l’OTAN prévaut, sans que ne soit jamais questionné le mystérieux « anti-impérialisme » d’une Union soviétique qui a réprimé toutes les révoltes dans sa sphère d’influence, à Berlin en 1953, en Hongrie en 1956 et en Tchécoslovaquie en 1968. 

L’invasion de la Tchécoslovaquie par les troupes du Pacte de Varsovie sera justifiée par Brejnev au nom de la « souveraineté limitée » dont bénéficieraient les pays du Bloc de l’Est. C’est ce qu’on a appelé la « doctrine Brejnev ». 

L’anti-impérialisme de guerre froide forgé par l’URSS de Staline et de ses épigones pour justifier la brutalité de la répression et de la domination soviétique à l’Est de l’Europe reste aujourd’hui largement partagé par les derniers nostalgiques de l’URSS stalinienne mais on en retrouve des reliquats jusqu’au sein des partis communistes européens membres du PGE qui critiquent, à juste titre, l’OTAN et l’impérialisme des États-Unis mais n’osent jamais dénoncer avec les mêmes mots l’impérialisme agressif, réactionnaire et chauvin de la dictature poutinienne.

Une partie des communistes ouest-européens ne propose aujourd’hui rien d’autre, face au conflit ukrainien, qu’un retour à la doctrine Brejnev en plaidant pour une paix aux conditions fixées par Moscou, entérinant l’annexion de vastes régions de l’Ukraine et sa vassalisation. 

Une telle position est très éloignée d’une position réellement internationaliste et pacifiste, basée sur la classe des travailleuses et travailleurs. Les communistes devraient au contraire brandir le mot d’ordre de «paix sans annexion» et soutenir les organisations démocratiques et pacifistes de gauche en Russie qui combattent la dictature de Poutine.

Au-delà du combat pour la paix en Ukraine, il y a urgence à refonder un internationalisme communiste du XXIsiècle fidèle à l’héritage de Marx, Engels, Lénine et Trotsky, débarrassé des scories staliniennes chauvines et tourné vers l’avenir. 

David NOËL