Avec l’aimable autorisation de l’autrice
Introduction
Dans le débat sur la laïcité, c’est devenu une habitude dans le raisonnement d’associations islamiques, à propos des revendications sur les libertés de la personne et singulièrement celles de la femme, de voir opposer, au citoyen et à la citoyenne qui revendiquent des droits, comme aux décideurs et à l’État qui cherchent à gérer et légiférer sur ces mêmes préoccupations, l’argument péremptoire et absolu du sacré. La polygamie ou l’inégalité filles et garçons en matière d’héritage : on ne peut en réviser les dispositions car elles relèvent du sacré. Pour prendre un exemple extrême, le trafic contemporain des esclaves entre le Nigeria du Nord, la Mauritanie, le Niger, le Soudan, l’Arabie Saoudite ou les pays du Golfe, bien que régulièrement dénoncé par les organisations de droits humains tels que SOS-Esclaves-Mauritanie [2], American Anti-Slavery Group (AASG) ou Amnesty International, est rarement discuté par les autorités.
L’abolition de l’esclavage en Mauritanie, (ordonnance n°81-234 du 9 novembre 1981) rencontre encore des difficultés d’application) Les « ayant droits » réclament des dommages et intérêts, arguant du fait que l’esclave a statut dans le Coran. Le Coran est parole de Dieu ! La femme, le citoyen et l’État ont bel et bien un problème avec la sharî’a ou la lecture que l’on peut en donner à Kano (Nord Nigeria), Madina Gounas (Sénégal) ou Riad (Arabie Saoudite) !
Le Sénégal, faut-il le rappeler, est un État laïc. La laïcité est inscrite dans toutes les constitutions dont le pays s’est doté depuis 1960. Pourtant, la discussion est périodiquement engagée entre les défenseurs de la laïcité comme insigne de la République et les tenants de son abolition, qui se prévalent de l’identité religieuse musulmane de la majorité des citoyens sénégalais. Elle a été vive lors de l’élaboration de la nouvelle constitution votée en 2001, quelques mois après l’arrivée au pouvoir du Parti démocratique sénégalais et d’une large coalition des forces de l’opposition au Parti socialiste sénégalais. La tradition juridique héritée de la colonisation française s’est finalement maintenue : le Sénégal demeure un État laïc. Les institutions politiques et les textes juridiques qui ont géré le pays depuis une quarantaine d’années, ne font pas, dans l’ensemble, de référence explicite comme source de réglementation, à une obédience religieuse ou même à l’islam, religion dominante. Ce n’est pas le cas des républiques islamiques de Mauritanie ou du Soudan ni celui de certains États du Nord Nigeria qui se proclament islamiques malgré l’inconstitutionnalité d’une telle disposition dans le cadre de la Fédération nigériane. D’autres États, comme le Tchad et le Niger, tout en se réclamant de la laïcité, n’ont pas promulgué de code de la famille, pour ne pas « enfreindre la sharî’a ». Dans de nombreux pays subsahariens à majorité musulmane, le retour à la sharî’a est une revendication émergente qui devrait intéresser les études sur l’islam politique en Afrique subsaharienne.
La contestation évidente de la laïcité et la présence forte ou en filigrane de la loi coranique dans l’Afrique musulmane, de même que le redéploiement de la question de l’islam dans le monde actuel invitent à s’interroger sur son évolution comme fait religieux et culturel, à la fois identitaire et politique.
La résurgence du discours islamique des années 1970-1980 avait, en partie, été liée à l’avènement de la révolution iranienne et au renforcement du pouvoir des monarchies du Golfe et autres États d’Afrique du Nord ou du Moyen-Orient. Enrichis par la crise du pétrole et le boum des prix, ces pays ont largement financé les associations islamiques dans le monde, notamment en Afrique subsaharienne. Cette résurgence tient aussi à l’exigence de nombreuses communautés musulmanes, face à la crise contemporaine de la modernité, de penser pouvoir à l’occasion reconstruire leur identité et leur foi. Ces phénomènes ont eu un impact certain sur la vie religieuse et associative des musulmans africains et sénégalais.
Nous partirons, dans cet article, d’une part, des revendications multiples des femmes, ces deux trois décennies (1970-2000), à plus d’égalité notamment en matière de droit de la famille et, d’autre part, des reproches d’anti-islam et d’atteinte à la volonté divine proférés à leur encontre par certains groupes musulmans. Le débat sur l’islam et les droits des femmes est souvent dénoncé comme une polémique importée du féminisme occidental et aggravée par le discours antimusulman récurrent. Les attentats, en septembre 2001, contre les tours du World Trade Center de New York et la vive riposte américaine contre un ‘fondamentalisme’ musulman accusé de terrorisme n’ont fait qu’envenimer, voire embrouiller la controverse dont il était déjà difficile de poser clairement les termes. L’atmosphère qui a entouré les campagnes internationales de presse dénonçant les cas extrêmes d’amputation de la main de voleur, en Mauritanie, dans les années 1980, et les peines de mort punissant l’adultère et la grossesse ‘illégitime’ de femmes hausa du Nord Nigeria, au début de ces années 2000 témoignent du poids des passions. Tous ces cas ont vivement interpellé l’opinion africaine et internationale.
En ce qui concerne les droits humains des femmes, l’étude de l’islam politique africain et sénégalais d’hier à aujourd’hui ne peut faire l’économie d’une réflexion critique sur son impact sur leurs statuts et conditions de vie dans les pays musulmans. Cette question constitue un volet essentiel des interrogations portant, sur l’importance du mouvement de renaissance de l’islam.
L’islam politique renvoie ici à l’utilisation de la religion comme argument politique, soit par la société elle-même, notamment ses confréries et associations religieuses, soit par l’État dont le pouvoir législatif s’inspire volontiers du Coran pour le code de la famille tout en utilisant les communautés musulmanes et leurs leaders comme masses de manœuvre électorales pour l’accession ou le maintien au pouvoir politique. Dans un contexte aussi ambigu, laïcité et religion se côtoient et font l’objet de débats épisodiques.
Les communautés musulmanes du Sénégal colonial ont exprimé une vive hostilité à l’application du Code civil, en raison des valeurs judéo-chrétiennes qu’elles impliquaient à leurs yeux (monogamie par exemple), malgré les efforts de laïcisation que représentait cette initiative [3]. De Durand Valentin (élu en 1848), Carpot (1904), Blaise Diagne (1914), à Lamine Guèye (1946), leurs représentants au parlement français ont soutenu leur volonté de leurs électeurs de maintenir la sharî’a repense selon leurs coutumes, comme source de gestion des relations familiales. Les autorités coloniales ont ainsi été amenées à reconnaître les décisions rendues sur les questions relevant de lafamille par le tribunal musulman présidé par un cadi. Mais ce recours d’ordre théologique et juridique qui était une revendication aussi bien religieuse qu’identitaire contre les colons est devenu un appel au sacré qu’il est de plus en plus difficile de contester dans le Sénégal contemporain. Le débat dans ce contexte, porte rarement sur une analyse des mutations et des aspirations sociales contemporaines. Elle se réduit à une polémique autour de leur caractère religieux. On est ramené à la parole de Dieu !
Mustafa Kemal, comme Bourguiba, avaient dû, dans la même atmosphère, trancher ces questions.
Le présent article participe d’une double réflexion sur les femmes, les lois et l’islam en Afrique. La première est personnelle et procède d’un ensemble de travaux de recherche sur les femmes et les rapports sociaux de sexe dans la société sénégalaise. La seconde, de nature collective, a été initiée par le Groupe de recherche sur les femmes et les lois au Sénégal, membre du réseau international Femmes sous lois musulmanes (Women Living Under Muslim Laws – WLUML). Elle étudie l’impact de l’islam sur les lois affectant les relations hommes/femmes dans le cadre familial et social. Cette réflexion revêt une importance particulière, car le religieux est une dimension incontournable de la vie des femmes musulmanes. « Les paramètres de la vie d’une femme sont déterminées par une combinaison de dispositions statutaires formelles et de pratiques coutumières informelles qui peuvent chacune être fondées sur la religion, les coutumes traditionnelles de la région et sur d’autres sources telles que la réglementation coloniale ou les tendances mondiales »[4]. Or, à l’étude, on s’aperçoit que toutes ces dispositions participent d’une hiérarchisation sociale inégalitaire entre les sexes qui pousse à des interrogations : Quelle est la part de l’État et quelle est celle du sacré dans l’élaboration des règles et des politiques qui gèrent la vie des femmes, leur position dans la société et leurs relations avec les hommes ? Pourquoi le recours au sacré ? Comment en dépasser les contradictions dans un contexte qui se veut laïc ?
1- Le débat laïcité/religion dans le contexte sénégalais
Sans entrer dans un débat théologique inapproprié dans cet article, il convient cependant de définir quelques termes pour mieux asseoir la réflexion.
Le Coran, comme parole de Dieu révélée au Prophète Muhammad, est considéré comme un code de conduite religieux, moral et social pour tout musulman. Il est la source fondamentale de la Loi islamique. « La Loi, ensemble de prescriptions juridico-religieuses qui doivent de tous temps régir la communauté des croyants, repose sur le Coran » [5]. Face à l’évolution historique et politique des communautés musulmanes et à l’obligation de répondre à leurs nouvelles interrogations, les ulémas, savants de la Loi, ont dû recourir à la sunna comme deuxième source de la Loi. La sunna rassemble les traditions orales (hadith) rapportant les pratiques de l’époque de Prophète Muhammad et de ses compagnons. L’ijtihad, comme effort de réflexion et d’interprétation, a permis, au cours des siècles, de discuter, de (re)construire et de renforcer le discours musulman, en permettant de procéder à certaines adaptations, de recourir à une certaine flexibilité face aux coutumes locales. Il habilite, des personnes qualifiées par leur érudition coranique, de raisonner et d’établir les liens qui ne sont pas toujours explicites entre le texte coranique et les règles de la sharî’a qui en découlent. L’ijtihad est un moyen de répondre aux questionnements des fidèles sur leurs pratiques religieuses, en se référant au Coran et à la sunna. La sharî’a, comme « ’ensemble des prescriptions cultuelles et sociales (au sens large) tirées du Coran et de la sunna » [6], organise la vie religieuse et sociale des fidèles et réglemente aussi bien la prière, le jeûne, le code vestimentaire que le mariage, le divorce, le veuvage ou l’héritage. Elle est au cœur, du débat actuel sur l’islam et la modernité, car son application est critiquée pour son opposition à la ‘modernisation’ sociale.
Les termes islamisme, intégrisme et fondamentalisme sont ceux qui prêtent le plus à controverse aujourd’hui qu’ils ont un sens politique plus marqué en relation avec des mouvements actifs.
Les islamistes appartiennent à un courant politico-religieux, conservateur et intégriste de l’islam. Leur revendication majeure est d’une islamisation totale des lois, du gouvernement et des institutions. L’islamisme est souvent associé au fondamentalisme dont le concept a d’abord désigné des courants protestants de l’Amérique des années 1920 attachés au respect scrupuleux de la Bible, face à une société américaine en pleine transformation politique et sociale. C’était une manière de réaffirmer leur identité sur une base raciale et religieuse. Il faut constater « la difficulté de traiter des formes contemporaines d’extrémisme religieux [qui] tient surtout à la variété et à l’émiettement des systèmes de sens et des confessions à travers le monde, à la disparité des catégories qu’ils recouvrent, aux réputations qui leur sont faites, aux exclusions dont on les frappe, aux déformations dont ils sont victimes »[7]. Ainsi, on qualifie, aujourd’hui, de fondamentalistes, intégristes ou extrémistes des groupes aussi hétérogènes que les Wahhabites, les Talibans, les Hezbollah, les Frères musulmans, les Pentecôtistes, Adventistes et télévangélistes américains, les Hassidim juifs ou les intégristes catholiques de Mgr Lefebvre, ancien archevêque français de Dakar entre 1948 et 1962.
On peut cependant reconnaître que tous ces mouvements ont en commun de respecter une pensée, un texte ou un livre de référence absolue. Ils prétendent en garantir l’interprétation et en protéger l’immuabilité contre toute critique ou révision moderniste. Ils en viennent à un ‘fondamentalisme politique’ qui guide leur action à partir d’un respect qui se veut strict de principes religieux, avec un degré très variable d’intolérance, voire de violence. Les partisans de la révolution islamique en Iran, comme les défenseurs de la foi chrétienne qui appuient l’administration actuelle du Président George W. Bush proclament leur foi comme base de leur action politique. L’administration républicaine tente, par exemple, de revenir sur de nombreux droits sexuels et reproductifs obtenus de haute lutte, au cours de deux décennies de conférences mondiales des Nations Unies pour les femmes [8]. La communauté internationale s’apprête à célébrer le dixième anniversaire de la Conférence sur la Population et le développement, communément appelé Caire 1994. Or, le gouvernement américain menace de se retirer du programme d’action du Caire, adopté par 179 pays, si les termes de services de santé reproductive et de droits en matière de reproduction n’en sont pas supprimés ou, à défaut, remplacés. Or ceux-ci relèvent de droits humainsfondamentaux. Le fait pour les États-Unis de récuser ces engagements auprès des Nations Unies et de la communauté internationale prêtent à de graves conséquences pour toutes les femmes dans le monde qui ont besoin d’informations et de services efficaces et sans risques en matière de contraception et d’avortement, notamment les adolescentes exposées à des grossesses précoces non désirées. Le gouvernement américain refuse de financer les programmes de santé qui en traitent, dans les pays qui bénéficient de leur appui. Les efforts de lutte, en Afrique, contre la mortalité maternelle due à des taux de fécondité trop élevés ou des avortements dans de mauvaises conditions de sécurité risquent d’en être annihilés.
Le ‘fondamentalisme culturel’ s’appuie sur la religion, la culture, la langue ou autre spécificité, comme gages d’une identité communautaire, ethnique ou raciale à préserver. Les retours imposés à la tradition de Tombalbaye, président du Tchad entre 1960 et 1975 ou à « l’authenticité » de Mobutu du Zaïre en sont de bons exemples. Ils ont obligé des populations entières à se plier à des règles vestimentaires ou de conduite pour témoigner de leur identité culturelle. L’authenticité fut la révolution culturelle enclenchée par Mobutu à partir de 1971, avec notamment l’adoption de noms africains pour les personnes, les villes et même le pays devenu Zaïre. Interdits de se vêtir à l’occidentale, les hommes furent tenus de porter l’abascos et les femmes, le pagne [9]. Le port obligatoire du voile pour de très jeunes filles, comme dans les écoles primaires et secondaires de Zanzibar ou sur le campus de l’Université de Dakar, relève du même fondamentalisme.
Enfin, le ‘fondamentalisme global’ témoigne de l’expansion et de la complexité du phénomène et des relations créés entre ces groupes dans le monde. Il fait d’abord référence à ces mouvements qui constitueraient un ensemble « nébuleux » à travers les continents. C’est souvent l’épithète attribué à Al Qaida que les discours actuels contre le terrorisme fustigent. Pour notre propos, le fondamentalisme global représente sur un ensemble de groupes et d’institutions dont les actions se fondent sur des revendications identitaires religieuses, culturelles ou nationalistes. Ils constituent une alliance forte lors d’évènements précis. On pense ici à l’alliance entre les représentants du Vatican et ceux de l’Iran lors de l’élaboration du programme d’action du Caire, en 1994, et la plate-forme d’action des femmes de Beijing, en 1995. Ils ont en commun d’être des groupes conservateurs et combattu de toutes leurs forces l’adoption de textes favorables aux droits sexuels et reproductifs des femmes.
Les interrogations sur l’islam soulèvent plusieurs questions d’importance. Le débat sur la religion et la laïcité est-il concevable dans la société musulmane africaine, notamment celle du Sénégal ? Peut-on en admettre une lecture critique du message islamique, au nom de principes éthiques universels ? Une réinterprétation du Coran en faveur des droits humains des femmes est-elle possible ? Comment interpréter le port du hijab qui ne défraie pas encore la chronique au Sénégal, comme c’est le cas actuellement en France. Les femmes portent-elles volontairement le hijab en soumission à la tradition islamique ? Y sont-elles obligées ?
Dans le débat laïcité/religion, on observe généralement deux positions qui s’opposent volontiers dans le champ politique sénégalais.
Pour la première, la laïcité est la base même de la démocratie, et ce, quelle que soit la religion. « La gestion de la cité et du politique ne peut être que laïque ». C’est en ces termes que s’exprimait l’ancien Président du Sénégal, Abdou Diouf, lors de sa nomination au poste secrétaire général de l’Organisation de la Francophonie, lors du Sommet de Beyrouth, le 20 octobre 2002. A la question du journaliste de Radio France International « Est-ce significatif qu’un musulman soit nommé à la tête de l’organisation ? », le Président répondait avec sérénité : « Ma religion n’a rien voir avec ma nomination. Elle relève du privé et exclusivement du privé ».
La laïcité a été et reste en vigueur dans toutes les institutions politiques, judiciaires, économiques et financières sénégalaises. La France, « fille aînée de l’Église », y avait donné le ton, comme dans ses anciennes colonies. Toute discrimination en fonction de la religion est anticonstitutionnelle et aucun parti politique ne peut être fondé sur la religion. A aucun moment, les droits constitutionnel, commercial ou pénal ne sont influencés par le droit musulman. Les dispositions légales relevant de la sharî’a (ou de l’esprit de la sharî’a) [10] ne s’appliquent qu’à la famille. L’autorité coloniale s’est pliée à cette exigence communautaire et a juxtaposé droit civil et ‘coutume’ africaine islamisée. Les nouvelles autorités de l’indépendance ont agi de à ce niveau, même si elles renforcent la culture de laïcité en supprimant les tribunaux musulmans.
L’avancée des confréries musulmanes dans l’arène politique n’a jamais été aussi forte [11]. Tous les partis politiques qu’ils soient de tendance libérale ou se disent de gauche, qu’ils aient été autrefois communiste, maoïste ou trotskyste, entretiennent des relations suivies avec les leaders religieux. Leurs dirigeants leur rendent visite, assistent à leurs manifestations religieuses (magal [12], veillées de prière, etc.), sans doute pour attester de leur prise en compte du pouvoir de la religion.
Pourtant, lors des élections présidentielles de mars 2000, l’opinion publique sénégalaise, comme le démontrent les résultats officiels du vote, rejetait les programmes des trois candidats qui avaient affirmé leur obédience musulmane. Interrogé par un électeur, lors de campagne électorale, sur le retour souhaité à la sharî’a, l’un d’eux, professeur d’université en fonction, répondait que la suspension du Code de la famille serait l’une des décisions majeures de son septennat. Il soutenait que le Code actuel de la famille était contraire aux principes islamiques. Il le jugeait d’inspiration chrétienne, trop proche du code civil français que les Saint-Louisiens avaient rejeté à l’époque coloniale. Malgré le recours à l’islam comme argument de campagne, aucun de ces candidats n’obtenait plus de 1% des votes.
Cette même opinion publique avait été choquée de voir le khalife des mourides, Saliou Mbacké, porté en tête de la liste régionale du Parti démocratique sénégalais [13], lors des élections municipales et régionales de mai 2002. La question de savoir si un chef religieux pouvait occuper un poste politique électif était au cœur de la polémique. Même si le Président Abdoulaye Wade observait qu’il n’y avait pas forcément d’incompatibilité entre les deux rôles, le khalife, face à l’hostilité ouverte des Sénégalais, avait rapidement exigé le retrait de son nom de la liste [14].
La seconde position, dans le débat laïcité/religion, plus qu’elle ne remet en question la laïcité, réclame une plus grande participation du religieux au politique. L’ancien Président Léopold Sédar Senghor avait toujours négocié, mais contrôlé les relations de l’État avec les ‘marabouts de l’arachide’ qui l’avaient porté au pouvoir [15]. L’État d’Abdou Diouf paraît relativement ‘débordé’ par ces relations avec les classes maraboutiques [16]. Les lobbies tijaan et surtout mouride renforcent leur position de pouvoir en usant de leur influence électorale et économique. Les activités agricoles et entrepreneuriales de la communauté mouride essaimée au Sénégal, en Afrique et ailleurs dans le monde (Europe, États-Unis) ont connu, en une vingtaine d’années, une expansion considérable, ce qui donne une emprise plus forte de la ville de Touba, capitale économique et politique du mouridisme et de son khalife [17].
Les pouvoirs religieux mouride, tijaan et même layeen étaient déjà politiques. Ils ont remplacé les aristocraties du Baol, du Cayor et du Cap-Vert éliminées par la colonisation. Les populations locales se sont attachées à eux comme autorités de référence autant religieuses que politiques. Ces pouvoirs recherchent aujourd’hui une participation plus affirmée à la direction du pays et fondent leur légitimité sur le fait que le Sénégal est un pays à dominante musulmane. Cette ambition est confortée par un double courant intellectuel plus revendicatif : Il y a d’une part, des groupes d’intellectuels qui, déçus des partis politiques de ces quarante dernières années [18], se refont une ‘virginité’ politique avec l’adhésion à l’islam politique (exemples du CERID ou de Jamra.19) Il y a de l’autre, les associations musulmanes [20] auxquelles il convient de joindre les diplômés de l’enseignement arabe soucieux de faire reconnaître leur valeur [21]. Tous ces mouvements ont certes connu des fortunes diverses, mais nombre d’entre eux se développent avec le renouveau islamique dans le monde et en Afrique. Ils organisent de très nombreuses conférences et causeries, en français ou dans les langues nationales, dans des salles et mosquées [22] ou sur la place publique, sur les thèmes islam et … développement, science, enseignement, femmes, SIDA et autres grandes questions d’actualité, etc.
Les radios privées, qui ont connu un formidable essor à partir des années 1990, sont investies par les causeries sur la religion. Les débats de société y prennent rapidement une tournure religieuse, dans le ton, les salutations, la morale, les conseils donnés, les références à l’islam, etc. Certaines stations se sont, dès leur création, proclamées d’influence musulmane : Wal Fadjri, Radio Dunya. D’autres, Sud FM, ont fini par incorporer des émissions religieuses dans leurs programmes on ne peut plus laïcs, pour capter l’attention des auditeurs, rejoignant ainsi ces chaînes privées et la radio et la télévision sénégalaises. Les animateurs se livrent à des prêches tous les jeudi soir, durant le vendredi (jour de la grande prière). Ils commentent des passages du Coran et instruisent les fidèles sur les pratiques religieuses (prière, jeûne, piété, aumône, pèlerinage à la Mecque…). Ils organisent des débats quotidiens sur des questions de société (polygamie, mariage, vie conjugale, droits et devoirs des femmes, rôle du chef de famille, divorce, code de la famille, etc.). Les émissions interactives entre animateurs et auditeurs se poursuivent une bonne partie de la nuit et semblent connaître du succès,vu le nombre d’appels téléphoniques. Tous ces programmes produisent un discours ‘conformiste’, voire réactionnaire de retour à l’islam et de soumission à Dieu, porteur d’arguments usés sur le péché, l’enfer et le paradis, l’absence de valeurs morales, la crise religieuse et contemporaine, les méfaits de la laïcité, les ennemis de l’islam, etc. Certains programmes prônent aussi la soumission à un chef religieux sensé être un intercesseur entre le croyant et Dieu, voire son envoyé.
Les messages en direction des femmes n’ont jamais été archaïques et … dévalorisants. Le fait que quelques femmes, notamment des arabisantes, figurent parmi les animateurs ne modifie guère le message ‘d‘enfermement’ dans une position subordonnée à l’homme, chef de famille, et le rôle d’épouse et de mère. Lors d’une émission de Radio Dunya, en septembre 2003, l’animateur définissait la relation de l’être humain au divin sur la base d’une hiérarchie dont le marabout est le maillon central : La femme doit obéir à son mari qui lui-même obéit à son marabout, intercesseur entre lui et Dieu. D’autres, lors d’émissions relatives aux pratiques cultuelles, dénient la validité de la prière aux femmes qui ne veulent pas se mouiller les cheveux ou le cuir chevelu, lors des ablutions rituelles, afin de ne pas déranger leur coiffure. On traite de même celles qui sont coiffées de mèches ou se mettent du vernis à ongles. Les mèches empêchent l’eau de toucher le cuir chevelu, comme le vernis isole l’ongle. Et de citer une parole attribuée au Prophète : « Tout partie non lavée sera purifiée par le feu ».
Les femmes reçoivent, aussi bien à travers les émissions que dans les écrits musulmans sur la vie en société, des recommandations les ‘enfermant’ dans leurs rôles d’épouse et de mère, comme en attestent les enseignements de Serigne Mor Diop dont l’une des daara se situe dans la Médina de Dakar. Le mariage et la maternité sont des obligations religieuses pour tout musulman. On reste cependant sceptique sur les conduites recommandées, tant ce type de relations conjugales paraît d’un autre âge comparées à la pratique dans les familles sénégalaises contemporaines.
« […] Assister son mari est supérieur en bienfaits au fait de donner en aumône l’équivalent de toutes les richesses du monde. Le simple fait de regarder aimablement son mari équivaut à glorifier Dieu. L’agrément du mari entraîne celui de Dieu. Tout franc ou dirham donné ou toute dette pardonnée (au bénéfice du mari) équivaut aux bienfaits obtenus en effectuant un pèlerinage et une oumra [23] agréés. Le simple fait de servir à manger à son mari équivaut en bienfaits à faire le pèlerinage et la oumra. De même lorsqu’une femme offre un habit à son mari, elle est considérée comme ayant effectué le pèlerinage et la oumra. Cela équivaut également à un an d’adoration décompté pour chaque cheveu du mari, donc autant d’années décomptées que de cheveux. Préparer soi-même à manger à son époux correspond en grâces aux bienfaits découlant d’une mort pour la cause de Dieu (martyrs dans la vie de Dieu). De même, une telle épouse n’ira jamais en enfer. Enfin Dieu désignera 1000 anges qui demanderont pardon pour votre compte » [24]
Il en est de même des « bienfaits » de la maternité :
« Toute musulmane mariée qui tombe enceinte a les bienfaits d’un shahid (martyr dans l’islam). De même pour chaque douleur liée ou provoquée par la grossesse, elle est considérée comme ayant affranchi un esclave. Enfin elle est considérée durant la grossesse comme quelqu’un qui a passé son temps à : jeûner en permanence, prier en permanence, faire la guerre sainte. Si la femme fait un avortement, elle aura en compensation de cet enfant perdu une place au paradis. Si la femme accouche, elle est lavée de tout péché. Lorsqu’elle allaite son enfant (au sein bien entendu), pour chaque tétée, elle est considérée comme ayant affranchi 10 esclaves en vue de l’agrément de Dieu. Si l’enfant est sevré, tous les péchés de la maman sont pardonnés. Si elle est décédée au cours de l’accouchement, le paradis lui est garanti ». […] De même, laver le linge de son enfant, coudre ses habits, s’occuper de son enfant, tous ces actes constituent un mur entre elle et l’enfer et seront considérés comme un combat dans la voie de Dieu (jihad) au cours duquel on meurt martyr (shahid) » [25]
C’est au niveau des questions de la famille que se situe le débat sénégalais sur la laïcité et le retour à la sharî’a. A aucun moment, la gestion de l’État ou des affaires n’est passée au crible islamique par les associations religieuses. Celles-ci ne remettent en question ni le droit commercial ni les pratiques bancaires (taux d’intérêt), ni le droit constitutionnel, ni même le droit pénal, comme en République islamique de Mauritanie.
C’est dans le domaine du privé que la confrontation laïcité/religion est la plus tangible, avec le droit de la famille comme socle de la contestation. Le retour à la sharî’a est, à ce niveau, une prise de position politique qui engage les dirigeants d’associations religieuses et les arabisants qui ciblent particulièrement l’encadrement des femmes et des jeunes. C’est leur manière de participer au politique et de se donner une base de légitimité.
2. Repenser le sacré : la remise en question de la sharî’a est-elle un débat possible ?
En raison de leur identité musulmane, des communautés dans le monde revendiquent le droit de gérer leur État et leur société selon des lois conformes aux principes de l’islam, tant au niveau constitutionnel, politique, judiciaire que commercial. C’est une exigence des partis fondamentalistes d’Afrique du Nord, du Moyen-Orient ou d’Asie. Des pays comme l’Arabie Saoudite, l’Iran, le Pakistan ou le Soudan se proclament islamiques et en appliquent les principes. Ce n’est pas le cas du Sénégal.
Face à cette quête, une autre position, qui n’est pas non plus celle du Sénégal, se dessine. Tout en reconnaissant que le besoin de vivre selon les règles de sa foi est légitime, elle préconise cependant, pour toute application des règles de la sharî’a, des révisions, des adaptations ou des reformulations afin de les rendre conformes aux exigences de l’époque contemporaine. Nombre de pays (y compris les pays musulmans) ont hérité, avec la colonisation européenne, de l’État-nation comme système de gouvernance et de la laïcisation des lois qui l’accompagne. Aussi, avec les multiples crises politiques et économiques et la résurgence actuelle de l’islam, on ne peut guère s’étonner, remarque Abdullahi Ahmed An-Na’im, « de voir les Musulmans réaffirmer leur identité culturelle et rechercher des forces dans leur foi et leur tradition pour combattre les causes de la désorganisation sociale, de la faiblesse politique et de la frustration économique » [26] Musulman d’origine soudanaise, Abdullahi Ahmed An-
Na’im, professeur de Droit à Emory University (USA), appartient à une culture politique islamique qui ne fait pas de différence entre les lois qui réglementent le privé et celles du public. Sa démarche qui est une remise en cause globale est importante, voire incontournable, du fait de l’actualité des questions qu’il soulève, à propos de l’évolution de l’islam dans le monde. Le Soudan, ancienne colonie britannique devenue république islamique, connaît de vives tensions [27]. Il est tenaillé entre la nécessité de gérer l’État-nation contemporain et la volonté de légiférer avec la sharî’a. Tout au long de son argumentation, An-Na’im propose, aux communautés musulmanes contemporaines qui désirent appliquer la Loi islamique, d’en réformer la nature et la signification et de l’adapter à la modernité. Ceci n’est possible dit-il qu’en retournant au Coran et a la Sunna comme source fondatrice a réinterpréter et en s’éloignant de la sharî’a historique, celle des textes de l’époque de Médine. Or la plupart des fondamentalistes s’enferment dans ces textes. La réforme nécessaire de la sharî’a est possible, malgré les difficultés d’ordre à la fois théologique et politique. Il conclut :
« A moins d’éloigner la base de la loi islamique moderne de ces textes du Coran et de la sunna de l’époque de Médine, il n’existe pas de manière d’éviter une sérieuse violation du standard universel des droits humains. On ne peut en aucune façon abolir l’esclavage comme institution légale et éliminer toutes les formes et ombres de discrimination contre les femmes et les non musulmans, aussi longtemps que l’on reste enfermé dans le cadre de la sharî’a » [28].
A propos de la sharî’a, la société africaine en général et la société sénégalaise en particulier avaient déjà procédé à des relectures du Coran. Il ne s’agissait pas tant de l’adapter à la modernité que de le mettre au registre de leurs valeurs culturelles et de leurs contextes socio-historiques propres. Même si les ulémas locaux que sont les tierno, modibo, serigneou mallam, refusent, aujourd’hui, un débat critique sur la sharî’a, pour ne pas tomber dans le piège de la modernité, les faits sont là. Nous en donnerons quelques exemples.
On sait que l’islam, dès la disparition du Prophète Muhammad, l’interprétation des textes a fait l’objet de multiples contestations signifiant des rapports de pouvoir entre groupes. Plusieurs écoles juridiques se sont formées autour de personnalités prestigieuses [29], pour donner naissance aux malékisme, hanafisme, chafiisme, hanbalisme. Ces écoles juridiques se sont construites autour de controverses sur l’interprétation des sources. On peut constater des divergences sur une question ou une pratique donnée au sein de la même école.
Parlant de l’islam en Afrique subsaharienne, il est important de souligner que les sociétés musulmanes de cette région ne sont pas arabes, malgré la présence de populations métisses et la prégnance d’une culture arabe ou arabo-berbère. De ce fait, le vécu culturel de l’islam affiche de fortes différences. Elles se traduisent par des nuances parfois profondes au niveau des droits et des liens entre le religieux et l’environnement socio-économique. On retiendra que l’islam africain, qui est une réalité spécifique et incontournable, tout en reposant sur les cinq piliers fondateurs, ne s’est jamais assimilé à cet islam trop marqué par sa naissance dans la péninsule arabique. Il s’est enraciné, durant des siècles, dans des expériences socioculturelles propres qui ont été en rupture avec la sharî’a classique, ses règles, ses institutions et ses écoles de pensée arabe. Alors que les prières continuent d’être dites en arabe et que les récitations du Coran sont de mise, les imams et les guides religieux traduisent et commentent aussi les textes dans les langues nationales [30]. Ces traductions sont en langues africaines avec des caractères arabes ou latins : exemple du wolofal, mais aussi en pulaar, du mandeng, du hausa, etc. Elles permettent de lire et d’interpréter les textes auprès des disciples.
Les chefs religieux influents auprès des populations musulmanes, marginalisent ou excluent ce qui, dans le Coran, est trop différent, voire en opposition avec les valeurs des civilisations locales. Ils ne font généralement pas référence à la validation religieuse et juridique de l’esclavage, l’application de la loi du talion comme base d’un code pénal qui ne respecte pas l’intégrité physique de la personne humaine (lapidation à mort pour adultère, ablation de la main des voleurs, etc.). Serigne Abdoul Aziz Sy, khalife des Tijaan, avait coutume de dire, à ses fidèles, que « la sharî’a autorise ce que l’honneur (africain) refuse » [31], reconnaissant implicitement la spécificité culturelle du discours coranique, face à des valeurs vécues par les fidèles. En fait, les principales valeurs acceptées sont fondées sur l’acceptation de l’unicité de Dieu reconnue dans nombre de religions africaines, la piété, l’honnêteté, le pardon, la charité qui sous-tendent les pratiques religieuses.
Dans l’espace religieux sénégalais, on note des ruptures importantes avec l’avènement des confréries musulmanes mourides et layeen. Cheikh Amadou Bamba donne à la ville de Touba qu’il fonde au début du siècle le caractère sacré de la Mecque. Les fidèles n’ont plus besoin de se rendre en pèlerinage dans la ville sainte du Coran. Touba en prend la place. Alors que la Tijaania est encore tournée vers le monde arabo-musulman, il se démarque en fixant les termes d’un Islam plus ancré dans la culture wolof. Il utilise aussi la religion à des fins politiques et fonde une aristocratie politico-religieuse. Dans le Cap-vert, Limamou Laye, un marabout lébu, se déclare mahdi (prophète) et fonde, en 1865, la confrérie layeen essaimée entre les villages de Ouakam, Ngor, Yoff et Cambérène, sur la côte Nord de la péninsule. Dans sa profession de foi, le Khalife des Layeen supprime l’esclavage et le système inégalitaire des castes, au nom de l’égalité des hommes devant Dieu.
Pourquoi le débat sénégalais sur la sharî’a s’avère-t’il si difficile aujourd’hui, alors que l’étude de l’islam sénégalais montre que les communautés musulmanes n’ont, dans l’ensemble, pas retenu les règles de la sharî’a opposées à leurs identités culturelles et à leurs pratiques sociales. Au cœur de ce débat qui porte principalement sur la gestion patriarcale de la famille, le caractère sacré de plusieurs dispositions coraniques en rend la remise en cause délicate. L’impact du sacré est manifeste dans nombre de législations et de politiques de l’État en direction des femmes. C’est ce rapport de l’État au sacré à propos des femmes qu’étudie cette troisième partie.
3. Les femmes, l’État, et le sacré
Nombre de sociétés musulmanes sont encore régies par des législations écrites et des règles non écrites qui, dérivées d’interprétations du Coran, sont imbriquées dans les coutumes locales et acceptées ouvertement ou tacitement. Ces interprétations varient selon les lieux et les contextes et peuvent avoir un impact considérable sur la vie des femmes et l’exercice de leurs droits citoyens.
La résurgence du discours musulman, dans un Sénégal à la pratique islamique ancienne, profondément ancrée dans la culture et ‘paisible’ a contribué à l’essor de nombreuses dahira [32] féminines. Certains mouvements ‘fondamentalistes’ (Jama’atu Ibaadu Rahman,dahira de Madina Gounas) ont favorisé le port du voile féminin dans de nombreuses catégories de la population, pratique jusqu’alors inconnue, dans les milieux urbanisés et estudiantins. Dans la même veine, la pression sociale islamique en est arrivée à empêcher les hommes et les femmes de se serrer la main, comme c’en était l’usage. On assiste à une pratique religieuse de plus en plus ostentatoire. Les employésinterrompent leur service ou quittent les salles de réunion sous prétexte de prier à l’heure.
Le discours islamique se renforce dans les media, ainsi qu’au niveau du pouvoir politique. Le Président Abdoulaye Wade ne proposait-il pas la suppression du terme laïcité lors de l’élaboration de la nouvelle constitution, peu après son élection ? Même le sport en est imprégné. Lors des premières rencontres de la Coupe mondiale du football (mai-juin 2002), les succès de l’équipe sénégalaise qui n’était pas classée parmi les favorites ont largement été imputés à Dieu, grâce aux prières des grands leaders religieux mourides et tijaan. Les effigies des ‘stars’ du football sénégalais (El Hadj Diouf, Henri Kamara, Ferdinand Coly, Khalilou Fadiga, Salif Diaw, …) ont côtoyé celles de Cheikh Bamba Mbacké et de Babacar Sy, chefs charismatiques des confréries mouride et tijaan. Jésus-Christ a lui-même fait plus qu’une timide apparition.
Quelques exemples sur le débat sur les droits des femmes illustrent la collusion entre le politique et le sacré pour renforcer le système patriarcal.
L’accès à l’école est devenu un droit élémentaire. L’école coloniale a enrôlé les fils de chefs ou otages, deux à trois générations avant de faire place aux femmes. Malgré les progrès accomplis en en matière de scolarisation des filles, dans les années 1990, le Sénégal a dû leur établir, avec l’appui d’organisations internationales dont l’UNICEF, un programme spécifique à leur intention. Le programme SCOFI [33] a pour objectif non seulement d’organiser des campagnes d’inscription, mais également de les y maintenir. Aujourd’hui il faut encore pour qu’elles n’en soient pas arrachées mineures, soit pour leur donner les tâches domestiques, soit pour les mettre sur le marché du travail ou les marier. En avril 2002, une fillette de 12 ans d’un village de la vallée du fleuve était retirée de l’école primaire pour être donnée en mariage à son cousin âgé d’une trentaine d’années, et ce malgré le refus de son père travailleur émigré et de sa mère restée sur place. Suite à de violentes hémorragies lors de la consommation du mariage, elle tombait malade et décédait quelques jours plus tard. L’affaire ne fut divulguée dans la presse, que grâce à la vigilance de la RADHO [34]. Le conjoint déféré au Parquet a été condamné à trois mois d’emprisonnement. Ni la famille, ni l’Imâm qui avait célébré le mariage n’ont été inquiétés par la justice. Pourtant le mariage n’aurait jamais dû être célébré : la fillette était mineure et non consentante. L’âge légal au mariage est fixé à 16 ans pour les filles et le consentement au mariage est obligatoire.
Depuis avril 2002, le principe de l’enseignement de la religion dans toutes écoles publiques a été accepté officiellement, sous la pression des associations islamiques. L’introduction de cet enseignement avait été une question épineuse, lors des États généraux de l’éducation de 1982, à l’avènement d’Abdou Diouf [35]. Il s’agissait clairement d’introduire l’enseignement des religions, notamment du Coran, à l’instar des établissements privés catholiques. Afin de s’assurer que les élèves musulmans apprendraient le Coran [36], on en était à lui réserver des heures en fin d’après-midi. La recommandation n’avait pas été retenue, de peur de contrevenir à la laïcité. On ne peut s’empêcher de ressentir les mêmes inquiétudes aujourd’hui. Il est évident que l’étude du fait religieux est importante dans l’éducation, si elle ne suscite pas de dérives qui enfreignent la laïcité, notamment de voir les filles contraintes à porter le voile lors des cours de Coran, d’imposer un code vestimentaire, de supprimer la mixité scolaire, de respecter les heures de prière, etc.
La loi abrogeant les mutilations génitales féminines a fait l’objet d’un immense tollé dans la société sénégalaise, avant son adoption en février 1999. L’excision, qui en est un aspect, était généralement présentée comme une pratique initiatique culturelle africaine. Dans les régions où elle est pratiquée, elle est élément marqueur de la féminité. Il a fallu plus d’une trentaine d’années de polémiques internationales pour en arriver à élaborer la loi. Au cours des débats, des arguments culturels et religieux ont été brandis contre les féministes occidentales et leurs consœurs africaines dont le discours, plus tardif, de rejet ne pouvait être qu’occidental [37]. L’argument, auquel se sont accrochés les communautés musulmanes hal pulaar, soninké et mandeng, était que les femmes non excisées étaient impures et ne pouvaient prier, d’où un fort ostracisme à leur endroit. C’est certainement la dénonciation des conséquences médicales néfastes de ces pratiques qui fait voter la loi, alors que celles qui altèrent la jouissance sexuelle sont tout aussi importantes.
C’est sur les lois relatives à la famille que l’impact du sacré est le plus marquant. Aussi, les Sénégalaises sont-elles fréquemment accusées de porter atteinte à la parole de Dieu, lorsqu’elles tentent de faire avancer leurs droits démocratiques de citoyennes, droits déniés ou non appliqués, malgré les dispositions claires et sans équivoque de l’actuelle Constitution.
Le Sénégal s’est appuyé sur l’ancien Code civil français et le Coran pour promulguer, en 1973, le premier Code de la famille de l’État indépendant. Ce Code a été vivement contesté au sein de la communauté musulmane, dès sa promulgation en 1973. On mobilisa contre ses percées. Une certaine opinion parlera de code contre la sharî’a et ses règles, contre le Musulman et sa foi. On l’accusera d’être le Code des femmes. Vingt-cinq ans plus tard, aux élections présidentielles de 2000, l’un des candidats religieux, sans doute le plus excessif, allait jusqu’à promettre sa suppression pure et simple pour rétablir la sharî’a ? Il fut sanctionné par ses faibles résultats qui ont témoigné du désaveu populaire. Ce code, que ses détracteurs dénoncent comme celui des femmes, montre, en de nombreux articles, son assise patriarcale. Chaque revendication des femmes pour en éradiquer les dispositions discriminatoires à leur endroit a été dénoncée par les hommes comme une remise en cause de la religion. Le sacré est sans cesse avancé comme argument de légitimité des emprunts à la sharî’a.
Pourtant le Code de la famille procédait du principe de miséricorde et de protection des femmes affirmée par le Coran. Il exprimait la volonté de ‘modernisation’ juridique de la société sénégalaise, à partir de ses valeurs supérieures. Il était voulu par le Président Léopold Sédar Senghor qui légiférait en même temps sur la réforme administrative et territoriale et sur un domaine national qu’il estimait devoir protéger pour un usage communautaire. C’est vrai que le code protégeait les femmes. Il obligeait, notamment, les conjoints à enregistrer le mariage à l’état-civil pour assurer le consentement de la femme. Il tentait de réduire les excès d’une polygamie qui revient souvent à la simple sujétion d’épouses souvent commises pour entretenir elles-mêmes leur ménage, leur époux et leurs enfants. C’était le sens de l’option matrimoniale. La polygamie a été supprimée dans d’autres pays musulmans tels que la Turquie, la Tunisie et la Côte d’Ivoire. En Irak, la demande de polygamie doit être faite devant la justice.
Seule le juge est habilité à prononcer le divorce et à fixer les obligations réciproques et les conditions de la garde des enfants et de la pension alimentaire, etc.
Des dispositions contraignantes sont encore maintenues dans ce code dit des femmes. Certaines injustices ont été corrigées au fil des revendications féminines, toujours décriées à travers les media. Ainsi la polygamie, qui relève de la seule initiative de l’homme, même si elle est négociée par les options du code de la famille, n’a pu être supprimée. Il en sera de même pour le partage inégal de l’héritage entre garçons et filles. Et ce, au nom de la sharî’a, texte juridique qu’il ne faut pas confondre avec le Coran. Pourtant les Sénégalais et les Sénégalaises devraient savoir que :
« [si la polygamie est répandue au Sénégal, elle concernait], selon les résultats de l’EDSIII (1997), 45,5% des femmes mariées. On observait même une légère diminution de la fréquence de ces unions, car le pourcentage était de 48,5%, en 1978. Cette baisse est probablement liée à l’instruction et à l’urbanisation. On retrouve des personnes sans instruction et des femmes rurales dans les mêmes proportions (48-49%), en unions polygames. En 1992, 50,5% des femmes sans instruction, 32% du niveau de l’enseignement primaire et 29% des femmes du niveau secondaire ou supérieur étaient engagées dans la polygamie. En 1997, leur pourcentage était, respectivement, à 49,4%, 34,4% et 27,1%. Les femmes sans instruction constituent le seul groupe, dans lequel, la fréquence de la polygamie ne semble pas avoir baissé, dans la période (49-50%). De même, le pourcentage de femmes en union polygame diminue avec le degré d’urbanisation. Alors qu’en milieu rural, la baisse est de 50% à 48% de 1978 à 1997, elle se révèle plus rapide en ville, avec des taux passant de 46% à 41%, pour cette même période » [38].
Ceci pour souligner que si la polygamie est une pratique légale et religieuse, le Sénégal est aussi un pays de monogamie.
Toujours en matière de discriminations à l’endroit des femmes dans le Code de la famille, on peut citer l’ancien droit pour le mari de s’opposer à l’exercice d’une profession, par son épouse, s’il la jugeait susceptible d’entacher l’honneur de la famille. Cette clause qui ne pouvait être remise en cause que par l’intervention du juge a mis dix ans à être abolie (1984). On était à la veille de la dernière Conférence de la Décennie mondiale des femmes de Nairobi, ce qui donnait à Maïmouna Kane, Ministre chargée de la question des femmes, une écoute particulière auprès du gouvernement. Malgré cela, les journalistes (des hommes) de la presse locale [39] qui venait de se voir accorder la liberté de parole en avaient fait des gorges chaudes. Ils avaient mis de gros titres accusant les femmes de vouloir se livrer à la prostitution, en rejetant le droit de ‘veto’ conjugal à leur emploi. Aujourd’hui, les ménages sénégalais ont de plus en plus besoin des revenus de tous leurs membres et ne peuvent plus se priver de celui de l’épouse. Le droit de l’homme d’autoriser sa femme à sortir du territoire national, quel que soit son statut professionnel, n’est devenu caduc qu’avec la suppression de l’autorisation de sortie pour tous les Sénégalais, à l’avènement de la présidence d’Abdou Diouf, en 1981.
Contre toute attente, certains consulats, dont celui de la France, continuent, à leur manière de l’exiger, en demandant un certificat de mariage et l’attestation des biens du mari. Les célibataires ont peu de chance d’obtenir un visa, à cause de leur statut. Enfin, les revendications féminines ont permis de négocier, avec la première révision du Code de la famille, en 1984, la fixation du domicile conjugal qui relevait uniquement de l’autorité maritale.
Ce que les personnes qui s’opposent à la loi redoutent le plus, c’est fondamentalement le contrôle, par les femmes elles-mêmes, de leur propre corps, de leur sexualité et de leur fécondité. Ce contrôle de la fécondité que permet l’utilisation de méthodes contraceptives fait régulièrement réagir. Les agences internationales comme le FNUAP qui encouragent la planification des naissances sont accusées de vouloir dépeupler la planète et d’avoir trompé les Sénégalais et leurs guides religieux et d’avoir agi contre la volonté divine [40]. En effet, l’utilisation de la contraception donne en même temps aux femmes le pouvoir de contrôler leur fécondité : choix de faire (ou de ne pas faire) d’enfants, la décision du nombre, l’espacement des naissances, etc. Il est vrai que l’islam autorise l’espacement des naissances et même l’avortement à des fins exclusivement thérapeutiques [41]. C’est la position des chefs religieux qui, malgré tout, ne s’accommodent pas de la maîtrise par les femmes de leur sexualité et de leur fécondité.
Au-delà du désir propre d’enfant, la maternité reste une obligation du mariage. On attend d’elles qu’elles assurent leur fonction de reproduction. La femme stérile sera marginalisée, car elle ne contribue pas à la « fabrication » de cette descendance nombreuse que tout homme « doit » avoir, pour assurer sa masculinité et asseoir son pouvoir social. Dans la société hausa, comme dans nombre de sociétés africaines, « l’accumulation d’enfants participe de manière active à l’acquisition de prestige » [42]. Ce prestige passe par le corps des femmes, dont la sexualité et la fécondité sont contrôlées par des règles sociales définies dans chaque groupe : virginité, circoncision, surveillance, mariage, soumission au désir du conjoint, gestion de la fertilité, etc. D’où la difficulté à discuter de la fécondité non en termes médicaux, mais en termes de droit élémentaire à faire des enfants et à décider du nombre pour celles qui les portent, en accouchent et les entretiennent. Malgré les injonctions du Vatican, les Italiennes ont détiennent actuellement le taux de natalité le plus bas d’Europe.
Le débat actuel sur l’autorité parentale est un autre exemple qui illustre la collusion entre le politique et le sacré pour renforcer le système patriarcal. Plusieurs articles ont été comme des cris du cœur exprimant l’indignation d’une partie de l’opinion sénégalaise devant les requêtes de liberté et d’égalité des Sénégalaises [43].
La proposition de loi sur l’autorité parentale est en instance de vote, depuis 2001. La question est débattue dans les familles, dans la presse, au cours de débats laïcs ou religieux dans les radios et à la télévision. La loi veut remédier à la situation actuelle en passant de l’autorité paternelle, dans laquelle le père de famille est seul responsable légal de l’enfant à l’autorité parentale. L’autorité maternelle n’est légale que si le père est décédé ou déclare son incapacité à le prendre en charge. En cas, il doit en faire la déclaration devant le juge.
La revendication de l’autorité parentale n’est pourtant que l’une portant sur les discriminations affectant les femmes mariées. Les associations professionnelles et syndicats de femmes dénoncent aussi bien le caractère discriminatoire de l’impôt des salariées que la difficulté de prendre en charge leur famille en termes de sécurité sociale. L’impôt est individuel et est prélevé à la source par l’employeur. L’épouse salariée ne peut bénéficier des déductions sur l’impôt dues au nombre d’enfants, comme son mari. Elle est imposée comme célibataire sans enfant. Elle ne peut prendre en charge médicalement, ni ses enfants, ni son conjoint, car elle n’est pas le chef de famille. Les détracteurs de la proposition de loi sur l’autorité parentale, qu’il s’agisse departiculiers ou d’associations islamiques, accusent ouvertement les femmes de vouloir rejeter, par toutes ces revendications, l’autorité maritale. Ici le Code de la famille ne fait que respecter les prescriptions coraniques qui renforcent le pouvoir des hommes sur les femmes.
Plus que l’abolition de la puissance paternelle et de l’autorité maritale, ce qui est mis en cause relève de la reconnaissance et l’établissement de l’égalité réelle entre les hommes et les femmes. Cette égalité a été garantie par toutes les constitutions depuis l’indépendance ; elle est renforcée par celle de l’an 2001, votée par la majorité des Sénégalais. Plusieurs articles sur l’accès à l’éducation, à l’emploi ou à la terre, par exemple, font une mention explicite de l’égalité entre hommes et femmes. La source de nombreuses contraintes subies par les femmes dans l’espace familial et qui a souvent des répercussions dans l’espace public provient de deux articles du Code de la famille qui déterminent que l’homme est le chef de la famille et que la femme lui doit soumission et obéissance. L’anti-constitutionalité de ces deux articles a été dénoncé par les Sénégalaises, renforcées dans leurs convictions par les dispositions de la nouvelle constitution, votée lors d’élections transparentes.
Le 11 juillet 2003, l’Union africaine adoptait le Protocole additionnel à la Charte africaine des droits de l’homme relatif aux droits des femmes qui résulte d’une longue lutte des femmes pour leurs droits au niveau continental. La Charte africaine des droits de l’homme et des peuples, agréée en 1993, ne faisait aucune place particulière aux préoccupations des femmes, d’où la nécessité d’ajouter un protocole spécifique qu’il a bien fallu une dizaine d’années à mettre en place. Le Protocole reconnaît les droits des femmes à l’accès égal à l’emploi et au salaire (equal pay for equal work), au congé de maternité dans les secteurs public et privé. Il met un accent particulier sur la protection des femmes handicapées et en détresse, femmes âgées, veuves, femmes en détention, etc. Mais dans le domaine des droits sexuels et reproductifs que les acquis sont le plus marquants, notamment le droit à l’avortement en cas de viol et d’inceste, l’abolition des mutilations génitales féminines, et la protection contre les violences physiques et sexuelles. Le Protocole attend encore d’être ratifié par les États.
La famille dont se prévalent les religieux et les politiques n’existe plus, même en milieu rural. Les données ont changé sous l’impact des diverses transformations sociales, pas toujours négatives depuis l’indépendance, pour prendre une date récente. L’urbanisation, la scolarisation, les nouvelles activités économiques, les changements juridiques et politiques ont aussi contribué à changer la famille sénégalaise. D’aucuns souhaitent que les hommes continuent de s’accrocher à la domination masculine, en évoquant comme dernier recours, non plus l’esprit du Livre saint, mais sa littéralité. Cela, pour pouvoir exercer ‘pleinement’ une autorité légitimée par la culture et les religions du Livre. La réalité sociale incontournable est que l’on compte de plus en plus de femmes chefs de famille. Nombre d’entre elles couvrent les hommes du pagne de la sutura(pudeur). Ce rôle est renforcé à la fois par les progrès de l’éducation, l’initiative féminine et l’aggravation actuelle de la crise économique et de la pauvreté.
Conclusion
Le débat sur l’exigence de laïcité face à une certaine réislamisation agressive et intolérante des sociétés africaines et sénégalaise en particulier est essentiel quand on lutte pour l’égalité entre les sexes et l’avancement du statut des femmes. Les liens entre l’État et la religion, le politique et le sacré sont complexes dans une société où la religion et la culture sont profondément imbriquées. Le soubassement religieux qu’il soit préislamique, islamique ou chrétien reste tissé dans les actes de la vie quotidienne.
La résurgence du discours musulman dans le monde a eu des impacts considérables alors que la laïcité, comme principe de base avait accusé des progrès en matière de lois. A ce niveau, les femmes restent prises entre un État chargé de garantir l’égalité entre citoyens et une élite religieuse, dont le souci est de préserver un ordre patriarcal révélé et immuable. La famille est le dernier bastion à prendre. Seule la laïcisation de l’État et celle de ses lois peut résoudre la contradiction.
Fatou Sow [1]
in Muriel Gomez-Perez (dir.) L’Islam politique en Afrique subsaharienne, Karthala, Paris, 2007.
[1] Chercheure au CNRS, membre du Laboratoire SEDET, Université Paris 7 Denis Diderot.
[2] SOS–Esclaves, fondé en 1995, en Mauritanie, par Boubacar Messaoud, architecte d’origine harratine, dénonce « Le vide juridique ainsi maintenu favorise la perpétuation de la pratique d’esclavage en toute impunité, d’autant plus que les esclaves ne disposent d’aucune juridiction de recours et qu’aucun texte ne prévoit des pénalités criminelles contre ceux qui pratiquent l’esclavage. »
[3] Rappelons que le code civil a lui-même été en butte aux revendications de l’Église, dans la mesure où il rendait le mariage civil obligatoire avant la célébration religieuse, pouvait remplacer le mariage religieux, autorisait le divorce, etc.
[4] Women Living under Muslim Laws / Femmes sous lois musulmanes. Femmes et lois, Initiatives dans le monde musulman. « Femmes, lois, initiatives dans le monde musulman ». Débats tirés de la réunion internationale : Sur le chemin de Beijing : Femmes, lois et statut dans le monde musulman, 11-12 décembre 1994, Lahore (Pakistan), Montpellier, WLUML, 1996, p.7.
[5] Sourdel, D. L’Islam, Paris, PUF, 1984, p. 42.
[6] Ramadan, T. Islam, Le face à face des civilisations. Quel projet pour quelle modernité ? Lyon, Editions Tawhid, 2001, p. 64.
[7] Tincq. H. « La montée des extrémismes dans le monde » in Delumeau, J., (sous la dir. de), Le fait religieux, Paris, Fayard, 1993, p. 716.
[8] Les deux décennies mondiales des Nations Unies pour la femme ont été ponctuées de grandes conférences : Mexico (1975), Copenhague (1980), Nairobi (1985) et Beijing (1995). Les débats contradictoires menés par les femmes, au cours de ces conférences, ont influencé les débats et les décisions sur la contraception, l’avortement et la liberté sexuelle comme à la conférence sur la Population et le développement du Caire (1994). C’est la première fois que les questions démographiques étaient discutées en termes de droits sexuels et reproductifs.
[9] L’abacos (à bas le costume) était un veston à col fermé à porter sans cravate. Le pagne féminin s’esttransformé en jupe longue. Il était interdit aux femmes de porter une robe ou jupe courte, et un pantalon.
[10] Les dispositions utilisées ne sont pas une application stricte de la sharî’a.
[11] Des confréries ont donné, à leurs tâlibés, des consignes (ndigël mouride) de vote en faveur de candidats, lors d’élections présidentielles. Falilou Mbacké, khalife des mourides dans les années 1960, donnait un ndigël discret en faveur de Léopold Sédar Senghor. Ce ndigël prit une dimension que l’on a pu juger outrancière, tant il détonnait sur la prudence habituelle des mourides. Serigne Abdou Lahad Mbacké, khalife des mourides, affirmait à ses fidèles, notamment lors des élections présidentielles de 1988 :
« Voter pour Abdou Diouf, c’est suivre les recommandations de Serigne Touba ». Les dirigeants de la confrérie tijaan, tout en appuyant les hommes du pouvoir, ont généralement été plus mesurés, du fait de la plus grande autonomie de leurs fidèles, surtout urbains
[12] Commémoration du départ en exil forcé de Cheikh Amadou Bamba Mbacké, fondateur de la confrérie mouride, en 1906.
[13] La visite du candidat Abdoulaye Wade, au lendemain de sa victoire aux élections présidentielles, pour remercier son marabout, l’actuel khalife de la confrérie des mourides de ses prières avait été diversement commentée par les Sénégalais, comme en ont témoigné les media de l’époque relatant ces évènements.
[14] Pour certains, le principe de laïcité prescrit par la constitution empêchait la nomination du khalife, mais l’opinion publique a surtout dénoncé la manipulation politique évidente.
[15] Léopold Sédar Senghor avait, dans les années 1950, battu Lamine Guèye aux élections législatives, grâce au soutien des paysans, avec la promesse de monter le prix de la barrique d’arachide à cinq francs (barigo dërëm)
[16] Cf. Diop M. C., Diouf M., Le Sénégal sous Abdou Diouf, Paris, Karthala, 1995.
[17] Située au cœur du bassin arachidier, Touba a été érigée par Cheikh Amadou Bamba, comme capitale religieuse de la confrérie des mourides. Elle est la deuxième ville économique du Sénégal grâce à l’esprit d’entreprise fondée sur une idéologie du travail prônée par le marabout. Cf. O’Brien D. C., Saints and Politicians. Essays in the Organisation of a Senegalese Peasant Society. London, Cambridge University Press, African Studies Series 15, 1975, 213 p ; Coulon C., Pouvoir maraboutique et pouvoir politique au Sénégal. Thèse de doctorat d’Etat en Sciences politiques, IEP, Paris, 1977, 594 p. ; Copans, J., Les Marabouts de l’arachide ; la confrérie mouride et les paysans du Sénégal, Paris, Le Sycomore, 1980.
[18] Certains d’entre eux ont été membres des grands partis locaux : Parti socialiste (PS), Parti africain de l’indépendance (PAI) anciennement marxiste-léniniste, Parti du rassemblement africain (PRA), Rassemblement national démocratique (RND).
[19] CERID (Centre de recherche sur l’islam et le développement) créé, en 1984, par un groupe d’intellectuels musulmans dont M° Fadilou Diop, avocat, et les Dr. Ciré Ly, Daouda Diouf. Il comprenait des avocats, des médecins, des ingénieurs, des enseignants, des arabisants, etc. Jamra est une ONG musulmane fondée par un journaliste Abdou Latif Guèye, qui se consacre notamment à la lutte contre la drogue et le SIDA.
[20] Association culturelle et musulmane, diverses associations d’obédience mouride, tijaan (notamment Moustarchidines), niassène, xaadir, layeen, wahhabite, ibadou rahman, Organisation pour l’action islamique, Association des Étudiants musulmans de l‘Université de Dakar (AEMUD).
[21] Les diplômés arabisants, souvent formés à l’étranger, se sont vus marginalisés dans la gestion du pays, pour cause de non francophonie.
[22] Durant le mois de Ramadan, les mosquées se remplissent de fidèles venus écouter des sermons et des débats sur différents thèmes.
[23] Oumra : petit pèlerinage à la Mecque, effectué hors du grand pèlerinage annuel.
[24] Serigne Mor Diop, op. cit. p.10.
[25] Serigne Mor Diop, Brochure N°2, Dakar, Daara Serigne Mor Diop, mars 1997, p. 9.
[26] « It is not surprising that Muslims seek to reassert their cultural identity and to summon their forces from within their faith and tradition to challenge the causes of social disorganization, political powerlessness, and economic frustration » An-Na’im, A. A., Toward an Islamic Reformation : Civil Liberties, Human Rights and International Law, Syracuse, Syracuse University Press, 1996, p. 4.
[27] L’une des causes de la rébellion soudanaise dirigée par John Garant est le refus de se voir tout le pays soumis à la sharî’a, malgré la présence de communautés de foi différentes.
[28] « Unless the basis of modern Islamic law is shifted away from those texts of the Qur’an and Sunna of the Medina stage, there is no way avoiding drastic and serious violation of universal standard of human rights. There is no way to abolish slavery as a legal institution and no way to eliminate all forms and shades of discrimination against women and non-Muslims as long as we remain bound by the framework of sharî’a ». An-Na’im, A. A., op.cit. p. 179.
[29] Malik Ben Anas, Abou Ben Hanifa, Ach Chafi’i, et Ahmad Ibn Hanbal.
[30] Il existe également des traductions et commentaires en arabe et français.
[31] En wolof « Yoon mayna la lula ngor mayul ».
[32] Dahira : Groupe de fidèles lié à une confrérie réuni pour mener des activités principalement religieuses et cultuelles. La dahira peut être masculine, féminine, mixte, de jeunes. Elle a fini par se structurer en organisation formelle de type moderne avec des organes de délibération et de décision.
[33] SCOFI : scolarisation des filles
[34] RADHO (Rencontre africaine des droits de l’homme) est une association sénégalaise des droits humains qui intervient fréquemment dans les débats juridiques, politiques et de société.
[35] L’introduction de l’enseignement religieux à l’école n’avait jamais été sous la présidence de Léopold Sédar Senghor, d’origine catholique.
[36] En raison des programmes scolaires chargés, les élèves ont de plus de difficulté à recevoir une éducation religieuse, notamment la récitation du Coran.
[37] Débats organisées lors des conférences mondiales des femmes, notamment à Copenhague (1980) et Naïrobi (1985). En Afrique, le Comité interafricain de lutte contre les pratiques traditionnelles affectant la santé de la femme et de l’enfant a promu des campagnes de sensibilisation à ces questions.
[38] Sow F., Guèye M. M., Touré A. et Diakhaté Ng. Les Sénégalaises en chiffres, PNUD, Dakar, 2000, 198 p.
[39] Le Politicien, Sud, Wal Fadjri…
[40] Les résultats de la conférence Caire 1994 ont été vivement décriés CF. Le Musulman, journal de la Jama’atu Ibaadu Rahmane, N°47, Dakar, pp. 4-5, 1994.
[41] Ce qui n’est pas le cas du christianisme.
[42] Échard, Nicole – « Même la viande est vendue avec le sang » in Matthieu N. (dir. de) – L’Arraisonnement des Femmes, Essais en Anthropologie des Sexes », Cahiers de l’Homme, Nouvelle Série XXIV, Paris, Éditions de l’École des Hautes Études en Sciences Sociales, 1985, p. 40.
[43] Tous les journaux ont, sans exception, traité de la question : Soleil, Wal Fadjri, Sud-Quotidien, Le Quotidien, pour n’en citer que quelques uns.
Bibliographie
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Ramadan, T., Islam. Le face à face des civilisations. Quel projet pour quelle modernité ? Lyon, Éditions Tawhid, 2001, 390 p.
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Women Living under Muslim Laws / Femmes sous lois musulmanes. Femmes et lois, Initiatives dans le monde musulman. « Femmes, lois, initiatives dans le monde musulman ». Débats tirés de la réunion internationale : Sur le chemin de Beijing : Femmes, lois et statut dans le monde musulman, 11-12 décembre 1994, Lahore (Pakistan), Montpellier, WLUML, 1996, 52 p.
De l’autrice :
Les enjeux du féminisme au Sénégal
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2023/03/17/les-enjeux-du-feminisme-au-senegal/