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Se souvenir de la Nakba tout en étant témoin d’un génocide

Alors qu’Israël détruit Gaza, Israélien·nes et Palestinien·nes se sont réuni·es à Beit Jala non seulement pour commémorer la catastrophe de 1948, mais aussi pour mettre en valeur des témoignages palestinien·nes vivant·es.

Le 14 mai, environ 300 Israélien·nes et Palestinien·nes se sont rassemblé·es dans la ville de Beit Jala, en Cisjordanie, et des milliers d’autres se sont joints à eux en ligne, à l’occasion de la sixième cérémonie annuelle de commémoration de la Nakba, organisée par l’association Combatants for Peace.

Avec des témoignages personnels et des spectacles musicaux, la cérémonie a commémoré la Nakba de 1948, lorsque les milices sionistes et l’armée israélienne naissante ont expulsé 750 000 Palestinien·nes de leurs maisons, détruit ou dépeuplé plus de 500 villages et communautés urbaines palestiniens, et tué au moins 15 000 personnes, dont des femmes et des enfants.

Interdit·es de retourner dans leurs villages ancestraux, les Palestinien·nes du monde entier ont commencé à célébrer le jour de la Nakba, le 15 mai, dès 1949. Pourtant, en Israël, les autorités ont supprimé toute reconnaissance de la catastrophe palestinienne depuis les premiers jours de l’État, en interdisant le terme dans les écoles, en adoptant des lois pour défaire les institutions qui le commémorent et en effaçant les documents historiques des archives de l’État.

Ces dernières années, des initiatives telles que cette cérémonie ont remis en question ce silence, dans le but de forcer les Israélien·nes juifs/juives à affronter le traumatisme fondamental du déplacement des Palestinien·nes en 1948, qui est à l’origine de l’injustice actuelle.

Cette année, la commémoration de la Nakba revêt une importance particulière. À Gaza, la guerre génocidaire menée par Israël a tué plus de 53 000 Palestinien·nes et en a déplacé 1,9 million depuis octobre 2023. En Cisjordanie, les Palestinien·nes subissent des niveaux records de violence de la part des colons soutenus par l’État, alors que les efforts d’annexion officielle s’accélèrent. En Israël, les autorités ont intensifié la répression de la dissidence palestinienne, arrêtant des centaines de personnes pour avoir exprimé leur opposition à la guerre et restreignant pratiquement toute expression de l’identité nationale palestinienne.

Un départ sans retour
« Je me souviens encore du jour où nous avons quitté notre village », raconte Abd Al-Aziz Ghatash, 84 ans, réfugié palestinien du village dépeuplé de Beit Jibrin, dans une vidéo enregistrée. « Nous avons fui par Bir Wadi al-Zanar, en passant par la ville d’Ethna. Je jure que je l’ai vu de mes propres yeux : des bombes tombant d’avions, faisant exploser des oliviers centenaires, les envoyant voler dans les airs ».

Résidant actuellement dans le camp de réfugiés d’Al-Fawwar, près d’Hébron, M. Ghatash a décrit l’expérience de sa famille expulsée de sa terre, où son père possédait 100 dunams de champs de blé, de maïs et d’orge. « Des balles ont volé au-dessus de ma tête alors que je fuyais seul, après avoir été séparé de mon père et de ma mère », se souvient-il. 

Ghatash a rapidement retrouvé ses parents et ils ont poursuivi leur route vers Hébron. Sur la route, j’ai demandé à mon père, qu’il repose en paix : « Papa, on ne rentre pas ? Il m’a répondu : « Mon fils, c’est un départ sans retour », et il s’est mis à pleurer. Nous, les enfants, avons pleuré avec lui. 

Dès le premier jour de notre départ, mon rêve était de retourner à Beit Jibrin, mais où que nous allions, mon père disait : « Nous nous installerons ici, nous construirons ». Les gens lui demandaient : « Comment ça, construire ? Dans un mois, vous serez de retour dans votre village. Mais nous voici, plus de 75 ans plus tard, et ils disent toujours que nous retournerons au village ».

« Imaginez votre ville natale, votre patrie », implore Ghatash, la voix hésitante. « Je paierais 2000 dinars rien que pour me tenir sur cette terre et la revoir ».

Ma conscience ne me laissait pas d’autre choix
Sophia Orr, 19 ans, qui a passé 85 jours dans une prison militaire après avoir refusé de s’enrôler dans l’armée israélienne, a lu un extrait de « Independence 48-92 », un court essai de l’auteur israélien S. Yizhar qui décrit la capture et le nettoyage ethnique du village palestinien d’Al-Maghar, dont il a été témoin en tant que soldat en 1948.

Dans cet essai de 1992, Yizhar raconte qu’il se tenait au sommet d’une colline surplombant le village dont lui et ses camarades soldats s’étaient emparés, alors que passait devant eux un convoi de centaines de Palestinien·nes qu’ils avaient chassés de leurs maisons. « L’un après l’autre, ils avançaient, dans un silence étrange et écrasant, portant des ballots, se dirigeant vers l’ouest au loin. De temps à autre, la mitrailleuse envoyait une rafale glaçante au-dessus de leurs têtes ; un craquement, un coup de fouet sans équivoque ».

« L’expulsion n’a rien résolu – aucune expulsion ne résout jamais rien », écrit Yizhar. « Ils sont là, et nous sommes là – les expulsé·es et les expulseurs. Pour Yitzhar, la question de savoir comment résoudre cette situation est restée « la question la plus urgente » depuis le jour de la fondation de l’État. »

Pour Orr, le refus de s’engager dans l’armée fait partie de la réponse, tout comme l’insistance sur le fait que personne ne disparaîtra des terres situées entre le Jourdain et la mer Méditerranée. « Ma conscience ne m’a pas laissé d’autre choix. Ni avant le 7 octobre, ni après », a-t-elle déclaré. « J’ai refusé parce que je ne voulais pas faire partie d’un système qui occupe, opprime et tue quotidiennement. J’ai refusé comme un acte de protestation et de résistance à cette réalité violente – comme une expression de solidarité avec le peuple palestinien, un refus de fermer les yeux et d’endurcir mon cœur ».

« Je suis un enfant de Gaza et j’aime la vie ».
L’oratrice suivante, venu de Gaza par enregistrement vidéo, était de loin le plus jeune : Dima Al-Helou, 14 ans. Elle et sa famille de cinq personnes vivaient dans le quartier de Shuja’iiya de la ville de Gaza avant la guerre, mais ont depuis été déplacées 11 fois, s’abritant maintenant dans un camp de personnes déplacées à Al-Rimal.

Dans la vidéo, on voit Al-Helou et son père fouiller dans les ruines de leur maison, récupérant parfois des fragments de leur ancienne vie, comme un t-shirt en lambeaux ou un cahier. « Notre maison était pleine de paix et de simplicité », se souvient-elle. « J’aimais chaque détail – la vue depuis les fenêtres, le jardin, ma chambre, le salon, la cuisine, les réunions de famille ». Ses paroles se sont transformées en larmes. « Maintenant, tout a disparu ».

Elle se souvient de sa vie avant la guerre. « Je me réveillais, je me préparais et j’allais à l’école pour apprendre. Je rêvais de devenir ingénieure. Mais aujourd’hui, il n’y a plus d’écoles ni d’universités pour étudier. Tout a été détruit ».

La nuit précédant le 7 octobre, Al-Helou et sa famille sont allés à la plage, dans ce qui devait être leur dernier moment de paix. « C’est la dernière fois que j’ai vu la mer de Gaza ».

« Je veux vous dire que nous sommes ici pour rester, que nous nous accrochons à notre terre, « la terre de la fermeté » », a déclaré Mme Al-Helou à l’auditoire. « Et aux enfants du monde entier, je veux dire : nous sommes comme vous. Nous voulons vivre notre vie. Nous aimons la vie. Nous voulons jouer. Mais l’occupation sioniste nous prive de ces droits ».

« Je vous aime tous, souvenez-vous de moi », a-t-elle ajouté. « Je suis une enfant de Gaza et j’aime la vie ».

Nous ne devons pas céder au désespoir
« La guerre [à Gaza] nous rappelle que la Nakba, que nous commémorons ici aujourd’hui, n’est pas un chapitre clos. Il s’agit d’un processus continu d’effacement, de déplacement, de déni d’existence », a déclaré l’historien Lee Mordechai, de l’Université hébraïque, dans son discours d’ouverture. « Chaque bombe qui tombe sur une maison à Gaza, chaque avis d’évacuation laconique, chaque image satellite montrant la destruction de la bande de Gaza et des villes de tentes qui s’y trouvent font écho à ce même processus ».

Depuis près d’un an et demi, Mordechai compile une base de données de plus en plus importante sur les crimes de guerre qu’Israël commet ouvertement et fièrement à Gaza. Malgré ces horreurs, Mordechai insiste sur le fait que « nous devons choisir d’agir et de ne pas céder au désespoir ». C’est ce que les habitant·es de Gaza nous enseignent par leur insistance humaine à s’accrocher à la vie.

« Les médecins qui insistent pour rester dans les hôpitaux bombardés afin de faire du bien à leurs patient·es ; les ambulancier·es et les équipes de défense civile, qui continuent à servir leurs communautés malgré les dangers, en sauvant et en aidant les blessé·es et celles et ceux qui sont enterrés sous les décombres ; les journalistes qui continuent à documenter et à partager leur réalité avec le monde, même si tant de leurs collègues ont déjà été tué·es ; et les enfants de Gaza, qui ont été forcés d’endurer de terribles expériences de destruction et de perte, mais qui continuent à jouer, à danser, et à chanter ».

M. Mordechai a conclu son intervention en citant le médecin palestinien Ezzideen Shehab, qui se réfugie actuellement à Jabalia, au nord de la ville de Gaza, et continue de soigner les personnes dans le besoin.

« Pourquoi est-ce que j’écris ?
J’écris parce que le silence est un effacement lent.
J’écris pour coudre nos histoires dans le tissu du temps.
J’écris parce que quelque part, quelqu’un avait tout – la sécurité, la paix, le luxe banal d’un avenir – et que quelqu’un d’autre, sans que ce soit sa faute, n’avait rien.
J’écris pour vous rappeler que la vie n’est pas toujours juste, mais que vous pouvez l’être.
Et peut-être qu’un jour, dans le futur, vous vous retrouverez en position de pouvoir.
Et vous vous souviendrez.
Pas de notre chagrin, mais de notre mémoire.
C’est tout ce que je demande.
Que tu te souviennes. »

« C’est maintenant à mon tour d’être témoin de la Nakba de mon peuple ».

Le dernier orateur de la cérémonie était l’universitaire et activiste Thaabet Abu Rass, qui dirigeait auparavant les « Initiatives Abraham », une ONG visant à promouvoir l’égalité et le partenariat entre Juifs et Arabes. Citoyen palestinien d’Israël, M. Abu Rass a raconté au public comment sa mère lui avait caché les liens de sa famille avec Gaza. En 1945, jeune mariée, elle avait quitté son village de Hirbiya, dans le nord de Gaza, pour épouser le père d’Abu Rass à Qalansuwa, dans le centre d’Israël, où ils ont vécu sous le régime militaire jusqu’en 1966, élevant 14 enfants.

Après l’occupation de Gaza par Israël en 1967, la famille d’Abu Rass s’y est rendue dans l’espoir de retrouver ses proches. Ce qu’ils ont trouvé était dévastateur : les parents et les trois frères de sa mère étaient morts pendant les combats de 1948, et son oncle Hussein a été tué quelques mois après le déplacement de la famille alors qu’il tentait de retourner à Hirbiya pour récupérer certains de leurs biens. Lors de ce voyage, la mère d’Abu Rass se tenait au milieu des ruines de son village, désormais effacé, remplacé par les kibboutzim israéliens de Zikim et de Karmia.

« Depuis 1956, Israël a attaqué et occupé Gaza 11 fois, mais cette fois-ci est la pire de toutes », a déclaré M. Abu Rass. « Ma tante de 84 ans, Umm Fayez, a été témoin de la première Nakba en 1948. Elle en est à nouveau témoin aujourd’hui ».

Fayez, qui est malade, a été forcée de fuir sa maison dans le camp de réfugiés de Jabalia, dans le nord de Gaza, pour se rendre à Khan Younis, dans le sud. Elle a pu rentrer brièvement chez elle pendant le cessez-le-feu en janvier, mais a retrouvé les maisons de sa famille réduites à l’état de ruines.

« Après ma mère, c’est à mon tour d’être le témoin de la Nakba de mon peuple », a déclaré Abu Rass, qui a perdu 31 membres de sa famille dans la guerre jusqu’à présent. « Je suis un homme à l’identité fracturée, un Palestinien-Israélien, qui observe la situation à distance – à seulement une heure et quinze minutes de ma tante – incapable de lui fournir ne serait-ce qu’un sac de farine.

Dikla Taylor-Sheinman
Dikla Taylor-Sheinman est Shatil Social Justice Fellow au magazine +972. Actuellement basée à Haïfa, elle a passé l’année dernière à Amman et les six années précédentes à Chicago.
https://www.972mag.com/joint-nakba-rememberance-ceremony-genocide/
Traduit avec DeepL.com (version gratuite)

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27.05 – 18h [Rassemblement] NO BUSINESS AS USUAL WITH ISRAËL

En tant que citoyens israéliens vivant en Europe, nous regardons avec le cœur brisé et une rage sans fin l’armée israélienne exercer une destruction sans précédent sur la bande de Gaza et sa population, tandis que la société israélienne se dégrade vers le fascisme et une déshumanisation généralisée, et tandis que notre gouvernement commet un génocide visant à détruire la collectivité palestinienne.

Nous vous invitons à nous rejoindre à cette mobilisation, durant laquelle, notamment, la pétition Pas en notre nom ! sera remise au SPF Affaires étrangères.

Rendez-vous le mardi 27 mai à 18h devant le SPF Affaires étrangères, rue des Petits Carmes 15, 1000 Bruxelles

https://www.facebook.com/events/705198395707440/?active_tab=about

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