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Deux pouvoirs dictatoriaux, un conflit, des drones et des missiles à l’ombre du nucléaire

par la Rédaction d’ A l’encontre.

Le 10 mai, le New York Times illustrait le type d’escalade militaire à l’œuvre dans le conflit entre l’Inde et le Pakistan : « Le Pakistan a déclaré que l’Inde avait visé au moins trois de ses bases aériennes avec des missiles air-sol dans les premières heures de samedi, y compris Nur Khan, une installation clé de l’armée de l’air près de la capitale, Islamabad. […]
Quelques heures plus tard, le Pakistan a déclaré qu’il avait riposté en utilisant des missiles surface-surface de courte portée contre plusieurs sites en Inde, notamment les bases aériennes d’Udhampur et de Pathankot, ainsi qu’un entrepôt de missiles. « Œil pour œil », a déclaré l’armée pakistanaise dans un communiqué. Toutefois, l’Inde a également décrit son action de samedi comme des représailles. L’armée indienne a déclaré avoir frappé plusieurs cibles militaires pakistanaises, dont deux sites radar, en réponse à une vague d’attaques pakistanaises sur 26 sites à l’aide de drones, d’armes à longue portée et d’avions de chasse. Les équipements et le personnel de quatre bases de l’armée de l’air indienne ont subi des « dommages limités », a déclaré Vyomik Singh, un officier de l’armée de l’air indienne lors d’une conférence de presse samedi. »
Le 10 mai, Debashis Chakrabarti dans Front Line écrivait : « Ce qui différencie cette situation des précédentes tensions indo-pakistanaises, ce n’est pas l’hostilité, mais les outils utilisés. Les deux nations expérimentent la guerre des drones comme mécanisme de contrôle de l’escalade, une alternative soi-disant « propre » aux combats terrestres. Les drones offrent une dénégation plausible, une précision chirurgicale et une réduction des pertes humaines. Mais ils ouvrent également la boîte de Pandore. » Outre le fait, d’importance, qu’il s’agit de deux Etats disposant de l’arme nucléaire, Debashis Chakrabarti souligne que : « De plus, avec le soutien de la Chine à l’écosystème technologique militaire du Pakistan et l’intensification de la production indigène de drones dans le cadre du programme « Make in India », une course à l’armement technologique est déjà en cours. Il ne s’agit pas seulement d’une guerre d’usure, mais d’une guerre où tout va très vite, où des armes autonomes moins coûteuses poussent des Etats fragiles à s’engager dans des conflits à haut risque à moindre coût. » Et de relever que « le budget de la défense du Pakistan, qui avoisine les 9,5 milliards de dollars en 2025, a consommé plus de 18% des finances nationales, éclipsant les dépenses combinées du pays en matière de santé et d’éducation ». Quant à l’Inde, « en 2025, elle se classait au quatrième rang mondial des dépenses militaires, allouant la somme colossale de 75 milliards de dollars à la défense, dépassant tous les autres secteurs du budget de l’Union et consommant 13,45% des dépenses totales du gouvernement. C’était une année où les missiles passaient avant les repas dans les priorités budgétaires. » C’est donc aussi dans ce contexte de militarisation accentuée – alors qu’au sein de ces deux pays un total de 600 millions de personnes vivent au-dessous du seuil de pauvreté – que les attaques et contre-attaques militaires impulsées par les deux gouvernements doivent être appréhendées.
Le 29 avril, Narendra Modi donnait officiellement son feu vert à une opération militaire en représailles à l’attaque terroriste, le 22 avril, dans la partie du Cachemire rattachée à l’Inde. Dans la nuit du mardi 6 à au mercredi 7 mai, l’Inde a lancé son opération intitulée « Sandoor » [du nom de la poudre vermillon appliquée sur le front des hindous]. Au-delà des évaluations sur l’efficacité militaire, le mécanisme d’une escalade était enclenché, comme indiqué ci-dessus. Après avoir rappelé les « guerres totales » passées (entre autres 1965 et 1971) et les escarmouches majeures des années 1990, période où Inde et Pakistan se déclarent dotés d’une « force de dissuasion nucléaire », une interrogation a surgi : est-ce que les perspectives présentes sont plus inquiétantes que par le passé et est-ce que les deux pouvoirs vont-ils « faire marche arrière », au-delà d’une impasse au Cachemire ? Car, comme le soulignait Christophe Jaffrelot dans Asialyst le 7 mai : « Ce qui est évident c’est que beaucoup de gens ont intérêt à la perpétuation de ce conflit. Si le Cachemire n’existait pas, l’armée pakistanaise devrait l’inventer ! Parce que c’est la meilleure raison qu’elle peut invoquer pour réclamer un budget, des troupes, des armes… Et de l’autre côté, les tenants du nationalisme hindou ne jurent que par « Akhand Bharat » (le concept d’une Inde réunifiée intégrant le Pakistan) et dénoncent cet ennemi héréditaire auquel il faut résister. Les campagnes électorales du BJP, le parti de Narendra Modi, sont dominées de plus en plus par ces considérations. Tant que le Cachemire sera un enjeu de politique intérieure des deux côtés, on ne voit pas comment une normalisation pourrait être envisageable. A quoi s’ajoute la question de l’eau qui va être de plus en plus importante parce que le stress hydrique dans cette zone est déjà énorme et va croissant. Si on se met à jouer avec les barrages, les retenues, alors là on atteint des intérêts vitaux. »
Le 10 mai, le New York Times, entre autres, annonçait que « l’Inde et le Pakistan ont convenu d’un cessez-le-feu immédiat, mettant fin à plusieurs jours d’affrontements qui ont fait des dizaines de morts et poussé ces deux voisins dotés de l’arme nucléaire au bord de la guerre… Les deux parties tentent de contenir une escalade qui a débuté mercredi lorsque l’Inde a mené des frappes aériennes à l’intérieur du Pakistan et dans le Cachemire sous administration pakistanaise… L’intensification de la crise a suscité l’inquiétude dans le monde entier et des efforts diplomatiques pour désamorcer la crise ont été déployés par l’Arabie saoudite, les Emirats arabes unis, le Qatar et d’autres pays ayant des liens étroits avec l’Inde et le Pakistan. Les ministres des Affaires étrangères du Groupe des 7 nations industrialisées ont également appelé « l’Inde et le Pakistan à faire preuve d’une retenue maximale » dans une déclaration commune vendredi, avertissant que « toute nouvelle escalade militaire constituerait une menace grave pour la stabilité régionale » .» Le quotidien new-yorkais indiquait que l’administration Trump, par l’intermédiaire du secrétaire d’Etat Marco Rubio, « s’est entretenue avec les ministres des Affaires étrangères de l’Inde et du Pakistan, leur disant qu’ils devaient trouver des moyens de désamorcer la situation et de communiquer directement afin « d’éviter toute erreur d’appréciation », selon les comptes rendus des appels téléphoniques du département d’État. M. Rubio a également proposé l’aide des Etats-Unis pour entamer des pourparlers entre les deux pays »
Toutefois, entre les déclarations d’un cessez-le-feu et sa concrétisation, il semble qu’au moins un fossé existe, selon les dernières nouvelles rapportées par les journalistes du NYT résidant à New Delhi. En effet des tirs ont lieu le long de la frontière entre l’Inde et le Pakistan et l’activité de drones a été repérée. La désescalade peut avoir lieu, cette phase du conflit est loin d’être réglée, sans mentionner son contenu social, politique, géopolitique et militaire.

Dans ce dossier, Tariq Ali et Farooq Tariq fournissent les éléments d’une compréhension et d’une orientation politique renvoyant aux intérêts effectifs des populations exploitées et opprimées des deux pays. (Rédaction A l’Encontre)
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