À propos du livre de L. Mauduit et D. Sieffert, par M.P.

La lecture du livre de Mauduit et Sieffert est intéressante à plus d’un titre. Pour moi, elle m’a conduit à m’interroger de nouveau sur mon engagement de dizaines d’années dans l’OCI. De 1965 à 1992, responsable en province, j’ai longtemps été légitimiste, suivi la « ligne » mais de plus en plus en traînant des pieds au fil des années 80 jusqu’à la constitution de la tendance DLV (Drut Langevin Vania) en juin 89, tendance qui a existé -fait unique à ma connaissance – de 89 à 91. Elle avait deux élus au CC élus jusqu’à l’exclusion collective (une soixantaine de militants) en 91.

Je n’ai ni les moyens ni le goût de régler des comptes, avec les auteurs ou les protagonistes. Cette lecture a suscité l’envie d’évoquer comment j’ai vécu cette histoire et à l’occasion de rectifier ou d’éclairer des faits, d’en tirer des conclusions différentes.

L’axe central du livre suggéré par le sous-titre vise à démontrer que la convergence du POI de ces dernières années avec Mélenchon serait inscrite dans toute l’évolution de l’OCI de 1965 jusqu’au POI de 2023, et l’adhésion du jeune Mélenchon au trotskisme en 70 fournirait la clé de sa posture présente .C ‘est le principal reproche que je ferais au livre. C’est faire abstraction de l’évolution du contexte politique international et national, des rapports de forces internes au mouvement ouvrier. Bref de l’histoire et de l’activité des hommes.

Les choses ont changé, les occasions manquées ont infléchi le cours de l’évolution de l’organisation.

Après l’erreur du 10 mai sur laquelle je reviendrai, nous avons rapidement, massivement, et facilement recruté dans la jeunesse. Comment l’expliquer sans prendre en compte la situation politique, le déferlement de la grève générale qui a « rectifié » notre erreur ?

L’envoyé du C.C. Shapira (Robin) qui nous a exclus à Moulins en 1991 n’était déjà plus l’étudiant recruté par JP. Boudine à Orsay dans le début des années 70 : des années de permanent étaient passées par là et il n’était pas encore celui qui, aujourd’hui, assure la défense rapprochée de Mélenchon.

J’ai bien connu à Clermont-Ferrand G. Bellaigue au début des années 70 ouvrier Michelin à l’atelier VDO qui concentrait les principales forces des appareils CGT et PCF de l’usine.

Il fallait faire preuve d’un incontestable courage pour intervenir à la pose, faire signer 83 ouvriers sur un texte de rupture, texte que nous diffusions aux portes de toutes les usines Michelin de la ville. Après le passage à FO, la petite dizaine d’ouvriers rassemblés autour des militants OCI de l’usine et ralliés à cette opération pouvaient tous devenir permanents en utilisant les droits syndicaux qui obtenus aux élections de délégués du personnel. 10 ans plus tard G.Bellaigue représentait la fédération FO Chimie dans les congrès internationaux. Il ne rendait compte qu’à Lambert. Vania responsable local n’avait plus son mot à donner sur l’intervention à Michelin. Qui avait infiltré qui ? Qui pesait sur qui ?

De quelques événements abordés dans le livre et vécus de province :

Le livre raconte l’histoire parisienne de l’OCI si l’on excepte le court passage sur Grenoble.

L’action militante en province était soumise aux mêmes pesanteurs, au même « centralisme démocratique », elle appliquait la même ligne mais elle bénéficiait d’une certaine autonomie vis à vis du centre, autonomie certes relative. Les communications n’étaient pas ce qu’elles allaient devenir. Pas de vidéo-conférence, pas de portable.

L’orientation politique parvenait comme un « produit fini » jamais le représentant du CC ou du BP chargé de nous suivre ne faisait état des discussions qui avaient conduit à cette orientation. Centralisme démocratique oblige !

J’ai commencé à militer avec (puis dans) le CLER à partir de septembre 1965 à Orléans et cette histoire secrète c’est la mienne, mais en province : Orléans, Clermont-Ferrand puis Moulins

A Orléans nous étions totalement autonomes. Comme responsable local, je n’étais membre d’aucune instance nationale. On construisait à partir du journal : IO ronéoté, Révoltes, puis JR

Les réunions se tenaient à partir du journal. Les liens étaient lâches mais nous construisions facilement. La période était favorable dans le milieu étudiant mais pas seulement : nous sommes intervenus dans une grève des caissières des supermarchés (cf JR de l’époque) et avons fait de nombreuses adhésions dont plusieurs sont venues à Essen: au rassemblement du Bourget, l’année précédente nous avions rempli trois cars. A partir des étudiants nous nous implantions dans d’autres villes : Montargis chez les lycéens, Chartres, Châteaudun…

Je garde le souvenir d’une grande facilité à prendre contact, à recruter cela doit bien avoir un rapport avec la situation politique du moment : nous avions oublié les conséquences du 10 mai.

Même constat à Moulins à partir de 75 : chez les lycéens à Vichy à Montluçon, de manière durable chez les élèves assistantes sociales et élèves infirmières. De jeunes ouvriers sont gagnés au trotskisme à Moulins, à Nevers. Le travail de soutien aux militants d’Europe de l’Est, la révolution portugaise (1465 signataires de Moulins pour protester contre l’interdiction du journal Reppublica) attestent du dynamisme qui était encore réel jusqu’au vote Mitterrand. Le dernier sursaut sera la capacité à constituer 3 listes aux municipales de 1983 soit plus de cinquante citoyens acceptant d’être candidats publiquement contre les listes PS et PCF.

Comment est vécu le 10 mai 68 :

Depuis le 3 mai 68 nous suivons les événements au local de l’UNEF, préfabriqué situé sur le campus.

L’appel de M. Pourny, militant du CLER, emprisonné avec 5 autres étudiants est largement diffusé. Le soir du 10 mai il y a dans le local des militants de la JCR et des militants du Clerc et d’autres, tous militants de l’UNEF. Les frontières entre organisations sont moins étanches qu’à Paris. Je ne comprends pas la désertion du CLER et ce soir-là j’envisage de quitter le CLER.

Mais Rapidement les événements se précipitent, l’appel à la manifestation du 13 mai puis le déclenchement de la grève générale à partir de Sud-Aviation Bouguenais estompent mes interrogations. Le déclenchement de la grève générale confirme nos analyses (les mobilisations ouvrières de Caen, Le mans etc. étaient considérées comme les prémices de cette grève, et dans les mois qui précédaient mai 68 ; nous combattions pour une manifestation nationale à Paris de 500000 travailleurs !

Je participe le 14 septembre 68 à la première assemblée des C.A.O. Lambert que je vois pour la première fois tire le bilan de la grève générale. Il examine les 3 tentatives avortées de comité central de grève : à la RATP, dans le XVII arrondissement et à la Sécurité Sociale. Il ne fait pas état du bilan du milieu étudiant et ne revient pas sur l’erreur du 10 mai (si l’on s’en tient à mes notes.). Une occasion ratée d’ouvrir la discussion.

Le combat dans l’UNEF à Clermont-Ferrand

C’est mon engagement dans L’UNEF qui conduira aux contacts avec le CLERC. En 65 l’UNEF bien qu’en crise présente encore un incontestable attrait. A la Corpo-Lettres nous ferons parmi les nouveaux étudiants d’une fac naissante des dizaines d’adhésions. La vie syndicale de l’UNEF jusqu’au congrès d’Orléans, en 70, combine un mélange d’activités « syndicales » de défense des intérêts de l’étudiant comme « jeune travailleur intellectuel » et de débats et d’affrontements politiques : toutes les forces politiques interviennent dans l‘UNEF. Le volet débats et affrontements politiques dans l’UNEF trouvera son apogée dans ce congrès d’Orléans de 1970 : les Maos face à la tribune, les étudiants PSU sur le côté gauche de la tribune et les militants AJS sur la droite de la tribune.

A partir de 70-71 le départ des autres forces politiques fait disparaître ce volet politique et appauvrit la vie à l’intérieur de l’UNEF.

L’AER assume seule le travail syndical, elle se dépolitise progressivement et se « trad-ionise ». C’est à Clermont-Ferrand que je participe à la poursuite du combat pour la défense de l’UNEF dont les tâches sont discutées dans la cellule OCI, puis dans le cercle de l’AER, puis dans la corpo UNEF. Et à chaque fois avec les mêmes militants ou presque. Personnellement je suis tout à la fois ou alternativement responsable de l’UNEF – Droit, responsable de l’AER et du « rayon étudiant OCI. Petit à petit tout se confond et tout le monde s’épuise. A l’occasion d’opérations importantes (campagne d’adhésions à l’UNEF à la rentrée, élections au CROUS ou à la MNEF) des militants de Moulins, fonctionnaires, infirmières prennent des congés, sont mobilisés plusieurs jours sur Clermont-Ferrand et Limoges. Au final de nouveau qui infiltre qui ? le résultat est une dépolitisation, un abandon progressif des études et des diplômes. Les militants pour beaucoup d’entre eux deviennent des déclassés : certains deviennent permanents et renoncent de fait à leur indépendance, d’autres trouvent un emploi en particulier à la Sécurité sociale grâce à FO et la MNEF. Qui pèse sur qui ? Qui dépend de qui ?

Les exclusions :

L’exclusion de Varga marque effectivement un tournant dans la vie interne de l’organisation : elle est la première de la période d’essor important de l’OCI des années 60/70, elle touche le travail en Europe de l’est, dont tous les militants de l’OCI tiraient une fierté légitime, elle en préparait d’autres (mais cela on l’ignorait).

Seldjouk dans son long pensum n’en dit mot comme il ne dit rien de l’exclusion de C. Berg, de S. Just, de P. Broué, ni de celle notre tendance (60 militants exclus) cela suffit à réduire à peu de choses son long discours sur les faits… rien que les faits. Cette omission dit tout et dispense d’en dire plus.

Tout militant de l’OCI sait que les conditions du vote d’exclusion de Varga ont marqué profondément la vie de chaque militant. Personnellement je me souviens exactement des circonstances : nous sommes tous réunis un samedi ou un dimanche dans la salle Gaillard de Clermont-Ferrand : les envoyés du BP sont Marc Lacaze et si ma mémoire ne me fait pas défaut G. Bloch. Le choix des envoyés du CC n’est pas neutre. Avant le vote un courageux pose la question de ce qui va se passer si on vote contre. La réponse qui deviendra le leitmotiv pour l’avenir est « quiconque ne vote pas se met de lui-même hors de l’organisation ».

En quelques secondes il faut décider : renoncer à un engagement de presque dix ans auquel on reste attaché et que les évènements ne contredisent pas encore : le rassemblement du 1 février au Bourget, celui de Essen ne sont pas si éloignés, renoncer à un mode de vie plus général : la vie militante est si dévoreuse d’énergie et de temps que les amis, la vie privée sont dans l’organisation : comme beaucoup j’ai hésité, j’ai voté.

Dernière rencontre avec Lambert :

J’ai évoqué ma première réunion où j’ai croisé Lambert le 14 septembre 68. Il y eut la réunion de préparation du 40°congrès confédéral CGT (j’y étais élu), puis ma participation au CC avec Langevin comme représentant de la tendance : à ce moment-là nous étions marginalisés, la vie du parti était atone.

La dernière réunion avec Lambert se tenait dans notre local à Moulins,local qui a suivi l’évolution de ce tournant du siècle : d’ancien atelier désaffecté, devenu siège d’un parti politique il deviendra une mosquée après notre départ ! C’était en hiver, un poêle à mazout réchauffait ce qu’il pouvait. L’atmosphère était glaciale. A quel moment se situait cette réunion ? La tendance DLV (Drut, Langevin, Vania) était constituée, organisée au grand jour, officialisée : elle avait deux membres au CC (Langevin et moi) sur la base des résultats du vote des délégués au congrès. Ce devait être en février 91 quelques mois avant notre exclusion.

La tendance s’appuyait sur deux exigences : celle de la démocratie pour l’ouverture de la discussion sur la décision de proclamer le MPPT sans débat préalable dans l’organisation trotskiste et celle de notre intervention dans FO.

L’Allier, le Puy-de-Dôme, Carcassonne…, étaient des points forts de l’implantation de la tendance en province. C’était un des rares départements dans lequel toute la direction, toute l’implantation militante dont les responsables des syndicats (CGT DDE, CGT impôts, CGT Hôpitaux) à l’exception de deux responsables F.O. étaient membres de la tendance. L’implantation dans une ville de taille moyenne n’était pas négligeable : 60 militants pour une agglomération de 25 000 habitants. Dernière singularité nous étions tous issus du « canal historique » OCI alors que nationalement la tendance comptait un nombre important d’anciens LCR gagnés à l’O.C.I. Via la LCI.

La grève nationale des impôts était récente et l’Allier y avait joué son rôle, déjà Lambert m’avait accusé de saboter la grève ; 3 ans auparavant Lambert dans le cadre de sa campagne présidentielle avait animé un déjeuner-débat qui rassemblait 50 syndicalistes à Moulins.

Tout cela explique-t-il le déplacement de P. Lambert ?

Je savais que tous les incidents seraient recherchés et utilisés.

Dans la réunion de constitution de la tendance qui avait eu lieu dans les locaux du 87 (nous étions une soixantaine) participaient de droit au nom de la direction Seldjouk et De Massot. Seldjouk, mais pas De Massot s’était comporté en procureur, interrompant, précisant ce qui était autorisé et ce qui était interdit. Éric mon fils membre de la tendance arrivé en retard n’avait pas été autorisé à entrer au 87.

Dans cette réunion avec Lambert nous voulions éviter tous les dérapages. Plusieurs jeunes militants gagnés à l’OCI dans le combat pendant la grève des impôts voulaient intervenir.

Ils avaient subi les coups bas des staliniens de la CGT, ils ne comprenaient pas ce qui se passait chez « eux » dans leur parti et qui pourtant y ressemblait.

Du côté de la direction de la tendance nous voulions tenir le plus longtemps « possible » pour démontrer que l’existence d’une tendance respectant les statuts était incompatible avec le régime interne actuel du parti (nous étions la première tendance depuis la constitution de l’OCI à exister à l’intérieur du parti et à durer depuis deux ans).

De fait dans la vie du parti à Moulins l’unité était maintenue mais une unité de façade ; sous l’impulsion de Shapira le recrutement sans principe et sans base politique allait bon train pour créer une majorité qui voterait notre exclusion.

Les militants de la tendance qui avaient bâti depuis des années l ‘implantation du trotskisme étaient exaspérés et difficiles à maintenir dans l’OCI, il était devenu difficile de leur faire acquitter de lourdes phalanges.

C’est dans ce contexte qu’avait lieu la rencontre. J‘avais mis en garde les « jeunes » militants mais évidemment … Malapa par son attitude montrait qu’il protégeait Lambert de qui ? d’eux ?

Je ne me souviens plus du contenu précis de la discussion. Toujours est-il qu’à un moment un des jeunes militants s’adressa à Lambert comme nous avions l’habitude de discuter entre nous sans rapport hiérarchique particulier, librement et Malapa l’interrompit brutalement « camarade, tu sais à qui tu parles ? Au représentant de la IV° internationale ? »

A la fin de la réunion nous sommes allés prendre un pot dans le seul bar encore ouvert. Il était vide, allait fermer. Malapa a exploré ostensiblement tous les recoins du bar, WC compris, à la surprise du patron. Il fallait une nouvelle fois démontrer que nous étions des ennemis dont il fallait se méfier. Tous les camarades l’ont compris ainsi : avions-nous caché des micros, des acolytes dans ce bar dont nous étions des habitués ?

Ce soir-là les révolutionnaires c’était les jeunes des impôts…. Dans les jours qui ont suivi ils ont jeté l’éponge.

Chercher le point où tout bascule ou dégénère me parait un peu vain. Congrès FO de 59 ? 10 mai 68 ? l’incompréhension que l’élection de Mitterrand était l‘arbre qui cachait la forêt : l’élection de Thatcher en GB et la défaite des mineurs anglais, l’élection de Reagan aux USA ?

Il y a toujours un avant et un après dans chaque événement à condition que les échecs comme les succès soient discutés librement. Le Parti bolchévique a connu cette situation dans les journées de juillet 17. Dans l’OCI la direction aimait à répéter à l’envi « il n’y aura plus de Lénine, il faut un Lénine collectif ». Sauf qu’il n’y avait pas de collectif sans libre discussion. Il y avait encore cette formule : « social-démocratie, stalinisme, pablisme toutes les places sont prises pour la bureaucratisation », sous-entendu nous sommes à l’abri. Sauf que Trotski l’avait pressenti quand il affirmait à la fin de sa vie que le venin du stalinisme menaçait de l’intérieur la IV°. La violence exercée pour résister au stalinisme a fini par pénétrer le régime interne de l’OCI.

M.P. (Drut)